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Mythos 2013 Texte

A M avec Rachid Bouali

On commence sur une page blanche. La scène est épurée, à peine balayée par des faisceaux de lumière. Aucun décor ni musique pour le récit de Rachid Bouali si ce n’est le velours rouge du chapiteau et le vent qui souffle dans sa toile. L’imagination a toute la place qu’il lui faut et c’est tant mieux.

Rachid Bouali est grand, détendu et surtout très souriant.  Dès les premières minutes, il apostrophe le spectateur pour l’emmener dans « M, petite banlieue près de Roubaix », pour nous raconter son enfance, dans ce coin paumé du Nord. Il nous peint une image haute en couleur et réaliste de la rue où il a vécu, avec ses voisins atypique « l’oeil de Moscou », Blanche, la vielle dame chti qui lui offre des bonbons des Vosges collés, Azziz, son berger allemand Vulcain et la belle Jessica.
Il nous fait revivre les dimanches mortels à l’abribus « à Palabre » avec ses amis : Quinquin et toute une bande de joyeux drilles, qui s’échappent de la messe pour aller jouer au ballon, créent un « comité de sauvetage » pour un mouton destiné à l’Aïd et guette Émile le facteur pour intercepter les lettres d’absences du collège. 

Tour à tour, Rachid EST tout ses personnages autant par les gestes que par la voix.

De l’intonation méditerranéenne de la « Madone » du quartier qui appelle à manger au ronronnement nostalgique du vieil Algérien « Ehhhh oui… ».

De l’accent chti bien prononcé de la vielle Blanche au petit couinement de Boulboul, adolescent fanfaron.

Il imite les démarches (fières, nonchalantes, chaloupées, burlesques), le bruit de la « l’unique perceuse du quartier » qui réveille tout le monde car les murs « sont des morceaux de papier-peint tendus entre le sol et le plafond ».

Babel est le nom de son spectacle car c’est dans cette cité que se sont retrouvé tout les déracinés du monde pour former une belle mosaïque humaine. Tel devant un kaléidoscope, le spectateur voit progressivement l’image de M se colorer sous ses yeux au son de la voix rieuse de Rachid.  Des fois, derrière ses blagues, on sent percer des sujets qui lui tiennent à cœur : la nostalgie du pays, l’intolérance, l’absence d’un père, d’un fiancé, d’un mari, la mort.

La vraie vie ne quitte jamais la scène mais cohabite à merveille avec l’humour dont le récit de Rachid Bouali l’habille. Le spectateur en sort presque surpris de s’être laissé happer si facilement par ses histoires rocambolesques mais authentiques.

On le rappelle trois fois rien que pour revoir son sourire, communicatif, immense, magique. Et peut être une dernière anecdote…