Retour sur le concert de la “nouvelle star” française, qui a enflammé vendredi soir le Cabaret Botanique. Un concert qu’on n’est pas prêt·e·s d’oublier.
Les corps s’étaient déjà bien lâchés devant la prestation cardio de la révélation phénomène Théodora. Ils n’allaient pas s’arrêter en si bonne route. Il fait une chaleur poisseuse sous les drapés rouges du cabaret. Fin d’entracte. Les lumières se tamisent. Les couleurs chaudes laissent place à une nuée de fumée blanche. Tempête
annoncée ce soir à Mythos. On s’apprête à accueillir Yseult.
Sur des notes de basse à la Maggot Brain de Funkadelic, on finit par entrevoir l’artiste, revenue de l’orage.
« BBBBBAaaaaby », lance-t-elle, bougeant son bras comme élançant un lasso. De longues mèches noires lui descendent jusqu’aux hanches, où elle arbore une ceinture à clous, maintenant un collant troué sous des bottines de motarde. La nouvelle star — pas si
nouvelle — est, si elle avait encore besoin de le prouver, la rockstar qu’elle pense être.
Tout commence normalement. Au vu de l’installation intrigante derrière elle, espèce de guillotine disco, on devine une scénographie léchée, des jeux de lumière qui enjoliveront ses notes et nous laisseront rassasié·e·s.
Mais après un “Bonsoir Rennes, vous m’avez manqué, je suis tellement contente”, les imprévus commencent. Un problème d’oreillettes. Yseult s’amuse, guide la régie. Confiante, échauffée par la salle, elle lance : “En vrai je m’entends pas, mais on continue, c’est très rock, c’est très star.” Rock star. Sa chanson Cute l’est. Son refrain — Dis-moi que tu m’aimes — on allait y penser en sortant après le concert.
Après la prise de risque, Emma et Marie viennent à la rescousse changer le boîtier d’oreillette. Elles ont droit à une chanson lancée par l’artiste, toute joie.
C’est seulement là que les ennuis commencent. Si on s’attendait à se trémousser les yeux levés vers la scène, on allait là être perturbé·e·s — et les technicien·ne·s lumière alors, n’en parlons pas.
Yseult va découvrir la fosse, aidée de la proximité permise par le chapiteau. Il fait chaud, très chaud. Elle commence une première chanson dans le public, on ne sait plus où regarder. On aperçoit parfois son doigt pointer tout droit vers le ciel. Elle danse avec des personnes qui n’en reviennent pas, se colle au public. Elle transpire, et le dit. Elle se donne, et on le lui rend : “J’ai juré, c’est le meilleur public depuis le début de ma putain de tournée. Ça fait du bien. J’adore.”
Alors elle n’allait pas s’arrêter en si bonne voie. Elle continue son exploration de la fosse, réduisant la distance, créant — déjà — une expérience collective.
Elle entonne Les Garçons, en trouve un : Nico, qui va en prendre pour son grade. Allégorie d’un soir des garçons qu’elle envoie balader dans la chanson. On devine qu’il se souviendra des mots qu’Yseult lui dédie. Aperçu : “Nicolas j’t’aime bien mais Nicolas tranquilou, T’as tout ton crew avec toi mais moi j’ai mes ovaires avec moi, Nicolaaaas.”
On rit jaune mais on rit d’admiration face à ce cran qui scotche, cette aisance provocatrice, brute et innocente. Elle repart pour un tour, entame Rodéo, les lumières sont rouges. Il fait chaud, très chaud. Les corps bougent, les bras se lèvent. Yseult au centre.
Puis ce sera Alibi, le titre aux 500 millions d’écoutes sur Spotify, entonné deux fois. Lumières vertes pour cela.
Le cabaret s’est mué en club. Porté par une déesse aux cheveux mouillés, descendue parmi nous pour nous montrer ce qu’elle sait faire. La communion opère. À chaque fin de morceau, on harangue “Yseult” à cœur joie. Même les images des écrans, dans le fond du
cabaret, ne savent plus quoi montrer. Le spectacle est ailleurs. Il est partout.
Depuis 30 minutes — passées comme autant de secondes — Yseult se meut au centre. Avant de remonter sur scène, elle s’aventure en périphérie, fait un tour du chapiteau, fendant la foule, inondant la salle de son aura, reprenant son souffle.
Finalement installée devant nous, les premières notes de Corps retentissent, et déjà, on sait que des larmes vont se mêler à la sueur. Le cabaret chante en harmonie son hymne du soir.
L’artiste, boudée des médias, et souvent encore du public français, parle : “En fait Rennes, je suis choquée. J’ai fait ce projet avec tellement de doutes que vous sentir comme ça, ça fait trop chaud au cœur. Je suis choquée. C’est pour ça que je vis, que je fais ce métier.” On applaudit.
D’autres nouvelles chansons du projet Mental se succèdent avant qu’elle ne se “fasse virer” — elle en plaisante. Parmi ces chansons, Problématic, entendue pour la première fois dans le récent Tiny Desk (émission de musique acoustique mondialement connue) de la
chanteuse. En se figurant les pointures passées derrière ce bureau, on se dit qu’on a de la chance d’avoir Yseult devant nous ce soir, de-ci près. Sous le cabaret, elle rencontre le public qu’elle mérite, qu’elle a attendu, à qui elle a tout donné pendant une heure.
Je me souviens d’une chose que Matthieu Chedid avait dit dans une interview. Il disait qu’un premier album, ça fixait un point dans l’univers d’un·e artiste. Un second donnait une trajectoire sur laquelle se déplacer. Et le troisième venait former un triangle qui finirait par
définir l’univers dans son ensemble, le ou la faisant graviter en son sein.
Le troisième projet d’Yseult (deuxième en indépendante, affranchie des contraintes et pressions des maisons de disque) ne fait qu’ouvrir des voies. Yseult vient redéfinir l’avenir de la pop-rock française — et plus lointaine encore. Vite. Sortons prendre l’air. Il fait trop
chaud. C’est terminé, on s’en souviendra, en trois ans de Mythos, jamais vu un concert comme ça.
✍️ Par Ewen Dubée
Photos © Elsa Tessier