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Mythos 2013 Texte

Rachid Bouali et Pépito Matéo : la passion des histoires

Attablé à l’ombre par une belle première journée ensoleillée au festival Mythos, Rachid Bouali se livre tout sourire pour le blog, bientôt rejoint par un Pépito Matéo curieux et malicieux. Les deux compères se chambrent, rigolent, tout en nous contant leur histoire, leurs parcours, leurs émotions et leur plaisir d’être ici. Le collectif Service d’Accompagnement et de Soutien, qui travaille autour du handicap dans le cadre de « Mythos en herbe », se joint à nous pour recueillir le ressenti des artistes sur les questions du regard de l’autre, des handicaps invisibles.

Une longue discussion s’instaure avec des regards croisés, beaucoup d’émotion et de rire, dans l’esprit convivial du festival. On revient principalement sur le lien de Rachid Bouali à Mythos, et on profite également de cette trop belle occasion pour interroger l’habitué des lieux : Pépito Matéo. Un petit instant de poésie, autour des marshmallows préférés de Rachid Bouali…

 

Rachid Bouali, tu es comédien de formation, d’où t’es venue cette passion pour le conte, pour les histoires ?

R.B : Au début je ne soupçonnais même pas qu’il y avait un milieu du conteur. Le conte, je le connaissais à la maison, autour de la figure de l’oncle grande gueule qui raconte des histoire ou du grand père qui se rappelle sa jeunesse. Quand je me suis aperçu que je pouvais conter seul sur scène, dans un espace nu, ça m’a libéré parce que je suis resté un peu un enfant émerveillé par les histoires.

 

Tu reviens une nouvelle fois à Mythos, festival des arts de la parole, en te voyant sur scène, on se dit que tu dois te sentir comme un poisson dans l’eau ?!

R.B : Je me sens super bien ! Mais c’est pas la première fois donc ça va je ne suis plus impressionné ! Ce qui est génial ici ce sont les rencontres. Avec les autres artistes déjà, ça nous permet d’évoluer, d’échanger pour nous réinventer, c’est vital ! Avec le public également, un public pas forcément connaisseur mais curieux, attentif, c’est un vrai plaisir.

 

C’est quoi être conteur ?

R.B : Il y a souvent un raccourci fait sur le conte, une caricature. Le conte, c’est raconter une histoire. C’est la seule définition que je pourrai donner, et elle me convient plutôt bien ! C’est pour ça que les gens doivent dépasser les à priori, comme j’ai pu le faire à une époque, pour entrer dans notre univers et qu’on les emmène avec nous.

 

Seul sur scène, un texte humoristique débité avec malice et avec une forte présence scénique, les ados diraient : Rachid Bouali c’est pas du conte, c’est du stand up !

R.B : C’est vrai qu’ils penseraient surement voir un One Man show ! Mais moi je me donne du mal, j’écris ! Ma poubelles est remplie de brouillon… Sur scène, il n’y a pas l’artiste d’un côté et le texte de l’autre. Si ma parole s’en détache souvent, je pars toujours de l’écrit. Le conteur, il reçoit l’histoire et se l’approprie, il en fait sa propre version, poétique ou encore spirituelle, il y voit ce qu’il veut. Après, moi je suis dans un style autobiographique, je parle de moi et j’essai de rattacher ce que je dis à une structure cohérente dramatiquement.

P.M : Et justement ça change tout ! Un conteur qui a une problématique personnelle, ça traduit une envie d’être auteur de son propre texte. Ici à Mythos, on rencontre des artistes qui sont dans une autre situation de narration et ça nous booste! On sort de notre microcosme de conteurs, on rencontre un public néophyte, pas blasé par le conte traditionnel.

R.B : Ecoutez la sagesse de Pépito Matéo, le Jimmy Hendrix du conte ! Il innove, il met du mouvement, de la vie, et c’est ça dont le conte a besoin !

P.M : Je suis entièrement d’accord avec toi Bob Marley… (rires)

 

Mythos en herbe : Donnez nous votre définition du handicap ?

R.B : Le handicap, c’est être exclu de la norme. On est dans une société conçue par et pour la norme, et c’est le sentiment d’exclusion qui amplifie encore la difficulté de vivre avec son handicap. On peut pas s ’empêcher de se projeter, de s’identifier, le handicap est quelque chose qui saisit.

P.M : Le handicap m’évoque surtout l’idée de souffrance, souvent liée au regard des autres. Quand est handicapé, il y a un manque qui suscite de la fragilité. Un peu comme ce que peut vivre tout un chacun dans sa vie, par la vieillesse par exemple, le sentiment de ne pas être entièrement maître de soi. Mais le handicap est parfois invisible, caché. L’important est donc de toujours rester en communication pour arriver à se comprendre.

 

Drôles, incisifs, ancrés dans votre temps, vous abordez souvent des sujets difficiles. Vous vous estimez engagés ? 

R.B : En temps normal, je dirais que je me sens pas engagé car je risque rien, comparé à d’autres endroits dans le monde où les artistes risquent leurs places voir leurs peaux. Mais quand je regarde mes textes par rapport à ce qu’on entend souvent dans les médias, je me dis qu’il y a une forme d’engagement. Le témoignage amène plus à réfléchir que le simple humour. Il y a forcément un but polémique, mais toujours dissimulé, en toile de fond, je ne le recherche pas.

P.M : Rachid quand tu parles de la Palestine à la Maison du conte, il faut quand même le faire ! Je suis d’accord avec ce que tu dis. Tout en étant attentif à ce qui passe autour de nous, on est pas des militants sur scène, on s’engage pour nous même.

 

Hier Maël Le Goff annonçait un « M » en pétard, qui se lèvera pour défendre une culture menacée. C’est ça, aussi, l’engagement ?

P.M : C’est évidement important de donner la parole aux artistes dans la situation actuelle. Ils portent une sincérité, des rêves, du lien social. Dans des situations aussi graves, il est impératif de soutenir les artistes qui ont un rôle primordial à jouer.

R.B : Je souscris tout à fait. La culture n’est pas un luxe. C’est pas parce qu’on a de quoi manger et de quoi se loger que la culture est superflue. Si le « M » est en pétard, on sera derrière ! On a le devoir de jouer les gardiens du temple et de veiller à ce que ses piliers restent debout. On doit s’assurer de maintenir coûte que coûte le sentiment de vivre ensemble, de cohésion, c’est notre première mission, et c’est malheureusement ce qui manque le plus aujourd’hui.

 

Dans cité Babel, tu vas nous plonger, Rachid, dans les années 6O, dans tes souvenirs d’enfance entre la culture Chti et Kabil. Tu croques des personnages pittoresques, on suit leurs tribulations. En parlant de toi, est ce que tu ne vas pas aussi et surtout nous parler des autres ?

R.B : En effet, j’ai trouvé une clé : je parle de moi pour mieux parler des autres. Parler de moi ça ne m’intéresse pas. Je me livre sur scène car pour entrer chez les gens il faut d’abord les faire entrer chez soi. Qui suis-je pour prétendre entrer chez quelqu’un et lui dérober ses histoires ? Après chacune de mes 350 représentations de Cité Babel, les gens venaient me voir pour me raconter des instants de vies, des parcours. Entendre les histoires des autres délie les langues et c’est ça qui me nourrit. A chaque personne que tu croises, il y a un trésor. Parfois une histoire, parfois juste une phrase. C’est la vie de tous les jours qui est le terreau de tous nos contes.

 

Pour finir Rachid Bouali, « M » pour ?

« M » pour Hem ! Ma ville natale, qui m’a ouvert les yeux, qui a fait ce que je suis aujourd’hui.