« Canoan contre le roi Vomiir » : rien que le titre annonce la couleur. Au Cabaret Botanique, le public initié rit déjà à la simple apparition d’Arnaud Aymard, couvert d’un drap blanc et tapant sur un étrange instrument, comme un prophète un peu paumé sorti tout droit de Monty Python. Lorsqu’il se découvre, c’est pour mieux mettre en valeur ses perruques en renard ou en serpillière, ainsi que son maillot de bain et son pagne en sac poubelle. Il multiplie insolemment les rictus et les grands airs, et nous annonce que lui, comédien céleste, possède un message de la plus haute importance. Or, lorsqu’il le prononce, on n’entend qu’un charabia cosmique incompréhensible, comme un clin d’œil aux Chaises d’Ionesco.
L’introduction nous situe d’ores et déjà dans un monde absurde, où différentes narrations et contrées prennent corps. Arnaud Aymard essaie différents tons afin de trouver le plus convainquant, tout en confiant au public ses impressions personnelles : « chiant », « vous vous en foutez », « c’est mieux après ». De plus, il agresse systématiquement le public en hurlant, humiliant, savourant sa supériorité…puis se fait pardonner en lançant des chips « goût campagne » et des bonbons « à la gélatine de porc », ce qui a l’air de fonctionner. On pourrait trouver l’acteur insupportable, mais on s’attache irrationnellement à lui et chacun rit à gorge déployée de voir un homme exposer sans complexes ses vices, son humour noir et son cynisme décapant. L’auto-dénommé comédien céleste invoque des dieux aussi divers qu’ Apollon, Jean-Jacques Rousseau, pêche, banane et Pierre Tchernia pour les convaincre de regarder les aventures de Conoan (un guerrier imaginaire, stupide et hilarant) à la télé.
Les aventures commencent, décrites par une voix off à l’accent d’entre-deux guerres, et Arnaud Aymard joue tour à tour chacun des multiples personnages, en les confondant et en cherchant les voix les plus caricaturales, dignes des pires doublages français. Il improvise parfois des vannes inopinées, critique le travail des dieux grecs concernant le découpage de la Bretagne, tout en se massant fièrement le torse à l’huile d’olive. Sans oublier de guetter ostensiblement nos réactions, le comédien invente des expressions surréalistes (« on n’y voit pas comme deux gouttes d’eau sur du boudin »), lit plusieurs fois son texte oublié (« vous pouvez parler entre vous »), et imite tour à tour l’écho, les cinquante concubines du roi Vomiir, le mollusque ancien et le Serpent de Lumière. La grandiloquence se mêle à la caricature dans un fouillis réjouissant de personnages, de créatures, de lieux mythiques et d’anachronismes efficaces. Tout le monde rit même les plus réticents, que ce soit aux allusions scatophiles ou aux apartés mesquines. Lorsqu’Arnaud Aymar finit son histoire sans scénario et nous annonce qu’Higelin, « ce sera mieux », plusieurs personnes se lèvent pour redemander de ce mythe déjanté et cruel.
Le prophète s’en va néanmoins en nous recommandant la plus grande vigilance, comme un nouveau message alarmiste pour une nouvelle apocalypse. De cet amas de mensonges éhontés et de légendes improbables, on retient une vérité : le comédien céleste « aime rire ».