Articles, cartes et témoignages se succèdent pour faire naître devant les yeux des spectateurs une réalité dure, qui prend aux tripes, et dont on a du mal à sortir. Dispak, qui signifie ouvert en breton, et dispac’h qui signifie révolution, nous présente une forme d’artivisme, où le théâtre s’ouvre, donne la parole, insurge et nous donne envie de renverser l’ordre du monde. Patricia Allio crée dans ce spectacle une véritable agora des peuples, à laquelle on finit tous par rêver de participer.
Sur le tatami qui nous sert ici de scène, de lutte, pour l’ensemble du spectacle, de nombreuses voix se mêlent deux heures durant. On y apprend qu’en France, l’âge moyen d’un enfant en centre de détention est de 7 ans. On y entend les témoignages de naufrages en méditerranée. On apprend que nos politiques font des morts. Mais on y apprend aussi que sur ce terrain de lutte, des acteurs se battent aux
abords de ces frontières. On rencontre ainsi Gael Manzi, fondateur d’Utopia 56 qui nous raconte les morts enterrés à Calais et les victoires
menées ; on rencontre aussi Stéphane Ravacley, qui s’est battu pour obtenir la régularisation de son apprenti boulanger ; on rencontre enfin l’élue brétilienne Régine Komokoli, qui nous fait part de son parcours migratoire, sans artifice, le coeur ouvert et révolté.
Dans ce tribunal, on questionne et on se questionne : quand est-ce que le théâtre a décidé d’ériger des frontières infranchissables entre le
public et la scène ? Quand est-ce qu’en tant que peuple on a décidé d’arrêter de s’insurger face aux frontières meurtrières ? Quand est-ce qu’on a arrêté les agoras ? Quand est-ce qu’on comprendra que nos choix politiques tuent ? Combien de morts, encore ?
À la fin du spectacle la lumière tombe, la nuit apparaît, les applaudissements émergent et, quand la lumière revient, on ne compte plus le nombre de visages sur lesquels des larmes, bien méritées, ont coulé. Ce sont les larmes de ceux qui n’ont pas eu le temps de les sécher, de ceux qui ne peuvent plus les sécher, de ceux qui ne pourront bientôt plus les sécher, asséchés, d’une humanité partie en fumée.
Dans le bus, en rentrant chez moi j’entends le silence des spectateurs qui étaient avec moi dans la salle. C’est un silence qui prend les tripes, et qui dit : « merci Patricia Allio, grâce à toi, et grâce aux voix que tu as conviées ce soir, elle finira peut-être par arriver, cette dispac’h. »
✍️ Marie-Selma Sayegrih
Photos © Magalie R