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Mythos 2019

L’Attentat : un avis politico-poétique sur le conflit israélo-palestinien

L’Attentat de Hennebicq, une immersion poétique mais aussi politique au cœur du drame israélo-palestinien.

Nous sommes deux, Vick et Timothé, deux étudiants chargés d’écrire un article sur L’Attentat (en arabe sur-titré) de Vincent Hennebicq adapté du roman de Yasmina Khadra. Nous savons juste du spectacle qu’il traite de la question israélo-palestinienne à travers les yeux d’Amine un médecin arabe naturalisé israélien qui se rend compte que sa femme a commis un attentat à Tel-Aviv sur lequel il est appelé à soigner. C’est l’histoire d’une quête de réponses.

Nous arrivons dans la salle et pouvons distinguer que le sol de la scène est jonché d’une sorte de pétales noirs comme de la cendre, un cercle blanc au centre, entouré d’un piano, d’une batterie, d’une trompette et d’un violoncelle. La seule chose qui fait que nous n’aurons pas la même perception de la pièce est que l’un d’entre nous a lu le roman dont elle est adaptée, et l’autre a assisté à un cours de sociologie du conflit israélo-palestinien.

La musique commence,

La pièce se déroule,

Les applaudissements,

Les rappels,

Puis on sort de la salle.

Voici la reconstitution de nos avis à la sortie du spectacle :

Timothé : Je retiendrai de cette pièce son envie de nous faire éprouver plutôt que de nous figurer. Elle débute avec la simple description orale d’un attentat à Tel Aviv accompagné par le son des instruments. Chacun se fait son cinéma intérieur et laisse son imagination figurer les images, plus ou moins horrifiques. L’acteur principal dans son jeu s’appuie d’ailleurs sur les musiciens pour l’accompagner dans ses réflexions, et le laisser en silence quand il le faut.

Même si cela est fait à travers une fiction, la pièce traite directement du conflit israélo-palestinien. Cette guerre dure depuis des dizaines d’années sans qu’aucune tentative de paix n’ait pu aboutir. Le constat est donc fait d’une opposition manichéenne entre les deux communautés représentées par les deux seules couleurs présentes sur scène : le noir et le blanc. Lorsque Amine découvre que sa femme a commis l’attentat, tout ce dont il était certain auparavant est remis en cause ; les draps blancs pendus au plafond tombent au sol, et le cercle au centre de la scène est recouvert de cendres noires. On ne sait plus très bien à quel niveau le conflit se perçoit ou doit se percevoir : de manière très distanciée et objective comme on peut le faire en Europe en étudiant le conflit à l’université par exemple, ou d’une manière plus personnalisée rattachée à des histoires particulières. Au final, je pense que les deux points de vue se confondent et rendent le conflit d’autant plus complexe à résoudre dans la mesure où il est humain et politique. Le conflit pourrait ainsi se confondre avec l’incompréhension de Babel, l’incompréhension insolvable entre deux communautés qui s’opposent sans relâche. Les apartés en français m’apparaissent donc comme une lueur d’espoir, une lueur de compréhension, portée par Amine qui est alors le seul à porter du blanc (sa chemise) sur scène. La réplique « on a peur car on ne sait pas » confirme cette sensation.

Enfin l’aspect politique de la pièce est renforcé par le choix de Vincent Hennebicq (metteur en scène) d’apporter de réels témoignages face caméra tourné en territoire conflictuel. Il renforce ainsi la possibilité de nourrir son cinéma intérieur avec des images (l’horizon sur la mer par exemple) qui accompagnent la volonté de liberté d’Amine et de ses proches ; des paroles qui font raisonner la difficulté de leurs combats quotidiens. On peut entendre : « Nous respectons ta douleur, respecte notre combat »,« il faut réinventer la vie où la mort à choisi d’opérer » ou « nous ne devons pas faire comme eux ». Tout se pense comme un compromis entre ses rêves et la violence de« l’autre ».

Je n’arrive néanmoins pas à distinguer si la pièce est l’exposition d’une poésie forcée, ou un magnifique recueil de poésie engagée, sensible et grave.


Vick : Déjà conquise et chamboulée par le roman éponyme de Yasmina Khadra dont est tirée la pièce, j’avais hâte d’en découvrir l’adaptation.

Quand nous entrons dans la salle, des instruments sont posés dans les coins de la scénographie : une trompette, une batterie, un violoncelle, un piano ainsi qu’un pied de micro. Des voiles blancs sont également suspendus à la verticale côtés cour et jardin. La première scène s’ouvre; la poursuite de lumière s’arrête.  Les voiles prennent vie et renvoie des images de chaos. Un homme en blanc apparaît, la poursuite l’enserre, il s’appelle Amine et s’adresse à nous en arabe, il nous raconte son histoire et alors que les surtitres défilent derrière lui on comprend soudain qu’il nous raconte sa mort. Posté dans un cercle de tissu blanc posé sur un tapis de pétales noirs semblables à des cendres, il nous détaille le feu et le chaos. Deux mois plus tôt là encore la tragédie, une bombe a explosé en plein coeur de la ville. Amine, chirurgien est débordé de patient et touché par l’horreur du spectacle. D’après l’autopsie et les blessures du corps de Sihem, sa femme, le constat est irrévocable, c’est elle qui portait la bombe. C’est elle qui, en se suicidant au milieu de la foule a emporté 19 personnes dont 11 enfants dans la tombe. Pour Amine c’est l’incrédulité, le désarroi, l’horreur absolue, comment, pourquoi sa femme a-t-elle décidé de devenir une kamikaze… Alors que sa douleur nous transperce, la musique monte crescendo, à son apogée les voiles tombent, le cercle blanc se couvre de noir et l’écran s’éclaircit laissant apparaître l’océan, grande étendue d’eau où se promènera le corps de Sihem en premier plan. Puis Amine découvre une lettre, Sihem n’était pas heureuse dans un monde où elle ne pouvait mériter que des enfants apatrides. Commence alors une quête vitale de réponses nourries par les problématiques du conflit israélo-palestinien. Amine nous emmène à Jénin, son village d’enfance, nous y rencontrons sa famille, amère et en colère. Pour eux, Sihem est un martyr, Amine a oublié, perdu son âme au moment où il a décidé de quitter Jénin pour Tel-aviv : « Sihem n’a pas oublié qui elle était contrairement à toi, où est passé ton âme ? » Sa naturalisation apparaît pour sa famille comme une trahison alors que des témoignages réels viennent alimenter le récit et expliquent la haine, l’humiliation, « Rien ne peut guérir de l’occupation  et de l’anéantissement ».

Si les témoignages sont manichéens car se plaçant du côté du ressenti palestinien, ils ont le mérite de nous immerger dans un quotidien sanglant dont nous, européen.ne.s, sommes distant.e.s voire indifférent.e.s. Nous ressentons le désarroi de cette population qui éprouve les peines et la violence. Face à la destruction de leur maison pas de larmes, mais des yeux vides, en effet qu’est-ce que la perte d’une maison quand on a déjà perdu son pays. Plus que d’aborder la résolution du conflit ou les politiques menées de part et d’autre, cette pièce nous fait le constat d’une population palestinienne qui lutte et tente de rendre notre nature destructrice poétique.

Timothé Perrier et Vick Davy / © Jean-Adrien Morandeau