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Mythos 2014

Le juste rire

« EST-CE QUE NOUS VOULONS D’UNE JUSTICE A DEUX VITESSES ? EST-CE QUE VOUS VOULEZ D’UNE JUSTICE A DEUX VITESSES ? D’ACCORD… MAIS SANS FENDARD ! »

Quel autre juge que maître Fendard peut se montrer aussi intègre, au point de déployer toute son expérience au service de n’importe quelle affaire – moyennant honoraires ? Quel autre juge peut être capable de déployer tous les moyens qu’il a en sa possession – et il n’en a pas qu’un peu – au service de la moindre affaire, au nom d’une idéologie de justice, de justice une et indivisible, de justice intègre, de justice universelle, au nom de la justice même ? Quel autre juge, que ce héros des temps modernes, aux méthodes hors du commun et à la sensibilité légendaire, au talent oratoire exceptionnel, aux méthodes juridictionnelles pétries de bon sens et d’opiniâtreté ?

Oui. La description de maître Fendard est de maître Fendard lui-même. On est son meilleur juge après tout, même lorsqu’on est avocat. Surtout lorsqu’on est avocat. Qui plus est, avocat spécialisé dans les affaires maritimes poétiques et burlesques. Ou encore dans les questions animalières africaines. C’est d’ailleurs cette dernière spécialité qui l’a amené à s’illustrer dans l’affaire de l’antilope à une corne. Une sombre affaires d’autruches s’estimant méjugées et poussant, par voie de conséquence, un rhinocéros à assaillir – en vertu de la loi de la jungle – une antilope déséquilibrée par le sol spongieux de l’enclot dans lequel se trouvaient tous ces protagonistes. Une sombre affaire éclairée et résolue par maître Fendard donc.

Et c’est parce qu’il refuse une justice à deux vitesses que maître Fendard est là, devant nous, accompagné de son fidèle greffier Ménardeau, pour se donner tout entier à une affaire. L’affaire du château de sable. Un édifice bâti avec amour, avec passion, avec ferveur par les Bellemarre. Une famille ordinaire, en proie à ses disputes intestines, ses conflits irréconciliables, à cette sédition latente qui menace toujours. Et qui avait, autour de ce chef d’œuvre d’architecture feldspathique, su trouver la réconciliation.  Le château de sable était devenu la personnification de leur unité, de leur amour, de leur tendresse réciproque. Seulement voilà. Le château  de sable a disparu.

Alors maître Fendard déploie tous les moyens, échafaude toutes les théories. Un milliardaire aurait pu faire appel à une mafia d’Europe de l’est pour s’approprier l’édifice dans la nuit.  « C’est possible. » Des tortues des Galápagos auraient pondu leurs œufs sur cette plage et, en se pressant vers la mer, les petits auraient emporté la fragile construction. « Possible. » Ou bien la tectonique des plaques. Ou tektonik des plaques. « Possible, aussi. » Sinon, la marée aurait emporté le château de sable. Mais… « Un avocat ne doit jamais dire la vérité à ses clients. » Parce que sinon, ils vont voir un autre avocat, peut-être moins compétent, ou, pire, peut-être plus cher !

Alors maître Fendard, toujours accompagné de son fidèle et admiratif Ménardeau, nous emmène  suivre le cours tortueux de sa déposition, de sa plaidoirie, pour notre plus grand plaisir. Cherchant à reconstruire le fil des évènements, le voilà qui, brusquement, nous offre une parodie sublime des chansons de variétés françaises, quand bien même cela pourrait « heurter les ayatollah de la déposition. » Mais il l’assume entièrement. Au nom de la justice, de la justice droite et intègre. Il démonte une à une les théories échafaudées, pour finalement se rabattre sur celle qui reste, malheureusement, la plus plausible. La marée montante a détruit le château de sable.

Mais alors, qui est responsable –car il est du devoir de la justice de désigner des responsables – ? La mer ? Mais peut-on accuser cette immensité aqueuse, au risque de se heurter au droit des eaux internationales, nationales, et mêmes fluviales ? La lune alors ? Mais à qui appartient-elle, faut-il établir des droits de propriété sur la lune ? Ou alors nous tous, nous tous qui sommes coupables de n’avoir pas su parler à la famille Bellemarre, de ne pas les avoir aidé face à la dissension ? La responsabilité n’est-elle pas collective, comme pour chaque chose ? Nous devons tous assumer, ensemble, les faits, aussi vrai que « la mer est au tour de France ce que la femme du boulanger est à la motoneige. » Alors nous réparons tous ensemble, sous son égide, ce château de sable, avec nos râteaux, nos seaux et nos pelles.

Fred Tousch et Laurent Mollat nous emportent dans une épopée judiciaire truculente, explorent les voies de l’absurde et de la farce pour notre plus grand plaisir. On rit beaucoup sous ce Magic Mirror, même si, peut-être, le public n’arrive pas totalement à entrer dans le jeu des comédiens, notamment lorsqu’arrive le moment des réparations – difficulté pour la justice de maintenir l’équilibre de la balance sans le glaive, toujours. Mais au final, on passe un bon, un très bon moment. On rit, beaucoup. Et c’est là le plus important.