Difficile. Difficile de passer outre, difficile ne pas y penser, difficile de tout réduire à cela.
Avec la polémique autour de la présence sur scène de Bertrand Cantat, chacun semble sommé de rejoindre à un camp. Non déprogrammé à Mythos, le conseiller à la culture de la maire de Rennes a expliqué lors de l’inauguration du festival avoir laissé le soin aux organisateurs de trancher, malgré une interpellation à ce sujet en conseil municipal. On peut imaginer les tensions et discussions que ce choix a dû engendrer en interne.
Fan de Noir Désir, j’entends les arguments des deux camps, sans savoir me prononcer. C’est dans cet état d’esprit que je me suis rendu lundi soir au Thabor pour le concert de Bertrand Cantat.
A la fin du concert, je ne peux toujours pas me placer. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir vécu un ascenseur émotionnel. Incapable de trouver un autre angle d’attaque pour rapporter ce concert, c’est cela que je souhaite raconter ici.
Sans surprise, des militants.es féministes sont présents devant les grilles du parc, quelques minutes avant le concert. C’est une manifestation calme, pacifique et ouverte à la discussion. Après une dizaine de minute de dialogue pendant lesquels j’entends leurs arguments, une militante résume le point de vue du groupe : « Le problème n’est pas qu’il continue de faire de la musique et qu’il enregistre. Il est musicien, c’est son métier. Le problème est qu’il monte sur scène pour se faire acclamer. C’est symbolique, mais également un soutien à un homme qui a tué une femme, et qui n’a fait pour cela que quatre ans de prison. »
Réintégration certes, mais pas de publicisation, voilà les arguments.
Alors que je m’attends à un public partagé, venu écouter de la musique, l’entrée sur scène de l’ancien leader de Noir Désir se fait sous un tonnerre d’applaudissement. Un soutien fort, radical, qui s’oppose frontalement au « camp adverse ». Difficile pour moi de ne pas être gêné.
Les premières chansons sont celles du nouvel album du chanteur, « Amor Fati ». Amie Nuit, Amor Fati, Excuse My French, Silicon Valley. Peu conquis olfactivement, j’observe d’abord une forme d’agressivité, ponctué d’un doigt d’honneur de la part du chanteur. Je le vois réclamer de l’amour, chercher du soutien, ce qu’il obtient de la part d’une foule qui semble conquise, et qui ne lésine pas sur les compliments « Qu’est-ce que tu es beau Bertrand ! » lance une spectatrice. Une amie présente quitte d’ailleurs la salle par dégoût, je partage ce sentiment.
Passé ces 40 premières minutes, une véritable interaction naît avec le public et apaise la tension, la bête reprend forme humaine. Une première chanson de Noir Désir, A l’envers à l’endroit un peu arrangé.
Petit à petit, le comportement du chanteur me semble évoluer, mes impressions aussi. Parfois gêné par cette affection qu’on lui porte, Bertrand Cantat quitte la scène pendant que Pascal Humbert présente les musiciens sur scène. Il finit par revenir ovationner.
Des reprises de Noir Dés’, ensuite, me comblent musicalement et me font oublier, l’espace d’un instant, la situation. Lost, Tostaky, Ici Paris, puis L’Homme pressé et Le vent nous portera en rappel. C’est une un âge passé du rock français qui semble renaître par l’énergie qui est déployée sur scène. Je suis conquis, et j’ai l’impression d’avoir vu une forme de détresse émaner du chanteur.
De la nostalgie s’observe sur les visages d’un public composé majoritairement de personnes âgés de 30 à 50 ans. Les musiciens donnent beaucoup, et reçoivent également en retour.
Bertrand Cantat semble ému. Il s’est retiré de la programmation de tous les festivals de l’été où il partageait l’affiche avec d’autres artistes, après avoir été déprogrammé de certains évènements, afin de ne pas s’imposer aux spectateurs qui ne souhaitent pas le voir. Il aura donc peu d’occasion de se produire. Or, cette affection que lui porte le public, se présenter sur scène, Bertrand Cantat semble en avoir besoin.
Après la gloire, puis l’ombre, son retour sur scène avec Détroit n’avait pas provoqué la même vague de contestation et de médiatisation, qui prend racine dans l’affaire Weinstein et le mouvement #metoo. Ce retour avait sans doute facilité sa réinsertion, lui qui a été nourri à la scène.
Lundi soir, c’est de l’amour qu’il était venu chercher. Alors qu’il récolte la haine depuis quelques mois, le public présent l’a bien compris et semble avoir radicalisé, lui aussi, son comportement.
La colère exprimée par les militants.es féministes peut évidemment être considéré comme légitime, mais nul ne peut nier les conséquences que cela doit avoir sur le moral de l’artiste. De ce fait, la scène semble être pour lui nécessaire afin d’obtenir ce à quoi il n’a pas le droit en dehors. Ce mécanisme s’auto-entretient et ne fait que devenir de plus en plus violent, dans les deux « camps ».
Cependant, cette escalade émotionnelle ne profite à personne, et empêche la tenue d’un débat sur la question de la réinsertion d’une personnalité publique comme celle-là. Il semble difficile de blâmer l’un ou l’autre des acteurs. Un retrait médiatique de l’acteur principal de cette histoire pourrait être une solution, à condition alors qu’il trouve un autre exutoire…
Photo © Loewen Photographie