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Mythos 2023

1001 débuts : The Beginning

Jeudi 13 au soir, Bert & Nasi foulaient à nouveau le plateau du CCNRB. Après The end présentée l’an dernier, la nouvelle création du duo, soutenue par le Festival Mythos, s’attarde cette fois à écrire le(s) début(s).

Entré dans rue Saint-Melaine par le haut, le soleil brille sur les pavés encore mouillés par l’averse qui vient tout juste de passer.

Le Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, c’est un endroit caché du centre-ville de Rennes. Ce soir-là un panneau trône sur la porte d’entrée et attire l’œil “l’équipe soutient le mouvement contre la réforme des retraites”, alors que la manifestation battait son plein quelques heures plus tôt, on s’apprête à assister à une expérience hors du temps et des normes. Une chance que n’auront pas les spectateur.ices du TNB, qui annule ce soir-là sa programmation en soutien au mouvement, et des millions de gens, qui n’ont ni le temps ni l’argent pour se le permettre…

Parenthèse nécessaire refermée, on est surpris par l’odeur de pop-corn qui envahit la salle d’entrée, dont on imagine pourtant mal le public qui patiente aller voir le dernier box-office à l’affiche. En tant qu’étudiant.e on peut aussi être surpris.e par l’impression d’abaisser la moyenne d’âge que procure souvent l’entrée dans un lieu partenaire du Festival Mythos.

La porte de la salle où aura lieu la représentation finit par s’ouvrir, et rapidement les gradins sont remplis.

La toile de fond s’est agrandie, le bureau qui constituait l’unique décor de The end a été remplacé par une quinzaine de chaises et quelques micros, trônant dans un coin.

L’an dernier, le duo Bert & Nasi avait proposé un spectacle de fins. The end était la peinture de la fin d’une amitié sur fond de fin du monde. Devant  l’écran où défilait le récit pathétique d’une chute, les deux danseurs tournaient, se retrouvaient, avant de se quitter, une dernière fois. Une toile tragi-poétique à la simplicité des mots et des mouvements qui avait, sans sensationnalisme, finit par cueillir le public là où il ne s’y attendait pas.

Cette année, la nouvelle “création Mythos’’ du duo s’adosse donc au début, ou plus exactement aux débuts. Celle-ci étant moins atteignable sans doute, Bert & Nasi ont commencé par expliciter leur démarche, non sans ironie.

The Beginning naît, c’est eux qu’ils le disent (l’un en anglais, le second en français, superposant parfois leurs voix) d’une amitié de 7 ans, et tout autant d’années de collaboration. Si le titre de leur précédent spectacle avait pu prêter à confusion, cette fois-ci ce sera peut-être leur dernier ou peut-être pas. 

Le ton est donné, déjà, on danse avec les mots, si The end avait un début, The Beginning aura aussi sa fin, au bout de quarante minutes, nous annoncent-ils, en ajoutant que ‘’c’est vraiment court si on s’ennuie’’. 

Les lumières s’éteignent.

Début 1 : il faut s’imaginer le jeu qui consiste à faire tomber un arceau sur un bâton, seulement là l’arceau est un cercle dessiné par un index et un pouce, le bâton, un doigt, et Bert & Nasi, à tour de rôle, visent à côté. Si le public rit, (il faut dire que le geste se répète plusieurs fois), on peut déjà commencer à se demander ce qui fait rire (jaune), l’action en elle-même, ou le fait que les gradins soin pleins pour y assister…

Début 2 (ou 3, pas sûr): après être sortis, Bert & Nasi refont surface, s’emparent d’une échelle et tournent en rond, en sortant de temps en temps leur tête des échelons. Parfois l’un en sort et lui court après (vous ne comprenez pas, c’est normal, nous non plus).

En réalité, Bert & Nasi n’ont toujours pas appris à danser, et ne se préparent pas non plus aux jeux olympiques de gym. Leurs mouvements sont incertains et désynchronisés, on se demande parfois si c’est calculé, et pourtant des bribes sonores font leur incursion, ils tapent des mains en même temps au dixième près, une note aiguë (le spectacle est accompagné d’une bande son qui oscille entre classique et électro) fait se lever une jambe et une autre trembler un bras. Après l’échelle-centrifugeuse c’est donc un spectacle étrange auquel on assiste (on va finir par s’y habituer), un mélange de mimes, de voix, de mouvements non calculés, mais finalement millimétrés, bref début, 2, 3, 4 puis on s’y perd  mais on se laisse porter.

Le spectacle se passe aussi en arrière-plan où des silhouettes font leur apparition, une à une au début, puis toutes à la fois, des personnes plutôt âgées, qui un instant se lèveront, se placeront au centre et divagueront, avant de se mettre derrière les micros pour énumérer les débuts. Le tout devant Bert & Nasi, tremblant sous les flashs lumineux, dans un décor où la fumée a pris place. C’est là: le moment. Celui où l’an dernier l’émotion avait saisi. On voit deux corps se chercher, se découvrir, s’approcher, se serrer, vulnérables, avant de se prendre la main, et de se quitter. Début 101, début 1000, 7389, 100 000 … Beg. Ing. In. Fin.

Le début de la fin ou la fin du début on ne sait donc pas mais une nouvelle fois l’émotion est là, les danseur.euses d’un soir et leurs chorégraphes saluent, le public applaudit. 

Quelles meilleures phrases que celles entendues une fois les lumières rallumées sur le public pour l’expliquer en quelques mots : « J’ai rien compris, mais j’ai bien aimé. Mais je crois qu’il y a rien à comprendre en fait. »

Ewen Lubée
Photo © Nico M