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Mythos 2016

Batman contre Robespierre, un duel détonnant

15h00, les spectateurs s’installent progressivement au milieu des arbres du Thabor, face à trois chaises encore vides. L’arrivée de trois comédiens – rapidement rejoints par un quatrième, caché dans le public – s’enchaîne directement avec des remerciements euphoriques mettant immédiatement les spectateurs dans cette ambiance un peu folle. On oublie alors très rapidement le décor extérieur et la musique qui s’échappe au loin du Magic Mirror, en se plongeant dans l’enchaînement effréné de scènes toutes aussi drôle qu’étonnantes.

Une histoire – celle de Jean Claude Barthès, homme on ne peut plus normal, et de son entourage – se met en place, mais aussitôt le décor et les personnages changent. Les spectateurs sont alors embarqués dans des situations de la vie du personnage amenées jusqu’à l’absurde. L’impression première est alors d’être complètement perdu au milieu de toutes ces scènes loufoques, pourtant l’histoire du personnage principal se poursuit. Elle raconte alors l’irréaliste descente aux enfers d’un homme normal, qui perdra tout sans rien y comprendre et qui se retrouvera finalement presque nu devant un huissier de justice après avoir perdu l’ensemble de sa famille dans un accident d’avion improbable.

Ce récit, qu’on pourrait croire déconnecté de la réalité tant il paraît absurde, est émaillé de critiques envers le fonctionnement de notre pensée individualiste, et plus largement de notre société. Ainsi, le maire de la ville – une mascotte de lapinou – passe des journées entières sans baisser les bras (littéralement) ; la perte de toutes les économies du personnage est excusée par la banque par l’argument « la titrisation des marchés asiatiques n’avait pas été prévue par nos analystes » ; la manière qu’ont les riches de vouloir à tout prix « aider les autres » est tournée jusqu’à l’absurde ; et la femme de Jean Claude Barthès semble à elle seule incarner cette injonction à être heureux ressentie parfois.

La chute de Jean Claude Barthès se transforme alors en une course poursuite dans les rues de la ville, modélisant ainsi l’opposition entre la figure de Batman – individualiste et ne croyant pas en l’existence de la société – face à celle de Robespierre, ne jurant que par la liberté.

Les comédiens du Grand Colossal Théâtre ont une façon incroyable de changer instantanément de personnage, et ces changements finissent par donner le tournis au spectateur, noyé sous toutes ces satires de personnes finalement plutôt réalistes. Batman contre Robespierre a ainsi la finesse d’apporter un véritable sens à des scènes drôles et décalées, nous amenant alors à réfléchir sur notre propre vision de la société et de nous-même. Car, comme l’a précisé le comédien au début de la pièce, « il est temps de raconter votre histoire ».

Maïwenn Le Brazidec
Visuel © Philippe Remond