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Mythos 2015

Des mots et du charbon

La pièce se finit dans le noir. Juste avant, on a pu voir, sur une grande page blanche de neuf mètre sur trois, des dizaines (des centaines ?) de mots (entre autres : farfouiner, perdre, wee-wee, église, but…). Et c’est à ce moment précis qu’on se dit qu’au final, la parole cache bel et bien des trésors.

Pendant presque une heure et demie, Sébastien Barrier a parlé. D’à peu près tout ce qui peut passer dans une tête en une heure et demie, c’est-à-dire beaucoup de choses, et je mets au défi, solennellement, celui qui voudra résumer cette pièce, qui n’a de fil conducteur que la trace des mots de Barrier sur la page blanche, écrit au charbon (le fameux chunky charcoal) par Benoît Bonnemaison-Fitte, véritable sportif-scribe qui doit suivre le lièvre qu’est le flot de paroles incessant du conteur.

Sans prétendre à l’exhaustivité, Barrier nous aura parlé du grand père de Bonnemaison-Fitte, du CAP Carrosserie dans le Pas de Calais, de l’Homo Sapiens (« Sapiens qui veut dire ‘sage ‘…quand on voit ce qu’on est devenus on a pas envie de rencontrer le néandertalien »), de l’inéluctable finitude, de Gus le chat névrosé trouvé dans les poubelles d’un cinéma d’art et d’essai, de toutes les variantes possible et inimaginables à la base du verbe perdre, d’une serveuse alcoolique morte par accident mais pas par hasard, de l’histoire du Minotaure… Bref, la langue se délie, la parole se libère, et, on pourra dire ce qu’on veut sur la diversité des thèmes, tout ça se lie et s’enchaîne sans qu’on s’en rende compte. D’ailleurs, la page vierge se noircit bien vite. Comme il est dit à un moment dans la pièce, « ce qui est important, c’est le chemin, pas le but ».

Mais il ne faut pas croire que Barrier se contente de réciter une quelconque suite de mots. Il sait les mettre en forme, les enjoliver, notamment grâce à la musique, jouée par Nicolas Lafourest à la guitare électrique. L’humour noir est là, pour parler de sujets graves avec le sourire (l’addiction, la perte de l’être cher, que ce soit wee-wee le chat perdu au Thabor ou bien la mort de Georges Perros, muet et atteint d’un cancer du larynx), l’addiction («Jupiter est la planète de la cocaïne, la planète de Mythos cette semaine ! ») ou encore les migrants à Calais.

Ce que j’ai ressenti dans cette pièce, c’est cette sensation d’ordre dans le désordre qu’on peut avoir en remettant à sa place tous les objets sur un bureau, c’est ce vertige qu’on ressent quand on doit expliquer quelque chose qui nous paraît très simple mais qui s’avère très compliqué, c’est cette déception quand, au lycée, on est arrivé au bout d’une équation complexe, sans pour autant pouvoir expliquer ses calculs.

Grâce à sa page blanche, à son guitariste et son propre talent de narration, Sébastien Barrier a su, lui, contourner ces obstacles, dans une pièce pleine de poésie et d’expérimentation (d’improvisation ?).