Quand on entre dans la petite salle Parigot du TNB, on a l’impression de pénétrer dans un salon des années 50. Du mobilier en bois et en contreplaqué, un tourne-disque, des livres sur des étagères et un peu partout d’ailleurs, des fauteuils moelleux et de la moquette beige. Les acteurs sont là, accueillants, et nous invitent à prendre un verre de vin qui nous attend sur la grande table. On ne se sent pas vraiment au théâtre, ni dans la vraie vie, et on rentre petit à petit dans ce monde de l’entre deux en prenant place sur les chaises disposées tout autour du plateau.
Les acteurs restent seuls en scène et commencent, chacun de leur côté et en même temps, à se raconter, à nous raconter. Leur vie, leur rencontre, leur parcours. A ce moment précis commence une pièce qui ne nous laissera indemne. C’est l’histoire d’André Gorz ou plutôt Gérard Horst, et de sa femme, Doreen, tirée du témoignage poignant qu’il décrit dans son livre Lettre à D. Finalement, comme il le dit lui même au début de la pièce, ce qu’il est ou ce qu’il fait dans la vie importe peu, et on devine peu à peu que c’est plutôt sur ce qu’ils sont et sur ce qu’ils ont vécu que porte l’histoire. Le couple nous emmène dans le récit de leur long bout de vie ensemble – 58 ans tout de même – et surtout de la maladie qui, tel un troisième personnage invisible, va s’immiscer peu à peu dans leur vie, grignoter leur quotidien et les emporter tous les deux à leur manière. Doreen y succombera et André décidera de la suivre.
Il y a tant de choses qui marquent dans cette pièce qu’il est difficile de les retranscrire. Peut-être que la force de ce moment, et sa beauté profonde, vient du fait que du début à la fin, on n’a pas l’impression que les acteurs jouent réellement. Le courant passe comme spontanément entre eux, comme s’il n’en avait jamais été autrement, comme s’il n’y avait pas de théâtre. Et en tant que spectateur, on se sent comme une vieille connaissance qui les écoute raconter leurs histoires. On assiste alors à des scènes de vie quotidienne, à des discussions à l’apparence banale, parfois entrecoupées d’allusions à la maladie qui arrivent peu à peu pour finalement monopoliser leur vie. Mais de cette banalité qui n’en est pas une, surgit une beauté violente et profonde, c’est finalement l’amour sincère d’André pour Doreen, de Doreen pour André, qui nous est jeté en plein visage pour nous arriver en plein cœur. Cet amour est tantôt facétieux, tantôt intellectuel, profond aussi, mais également colérique et apeuré. La peur de la perte, de la mort. Jusqu’à la fin, finalement, ces deux-là restent en équilibre grâce à leur parfaite complémentarité. Quand le couple s’en va, doucement, le long silence qui s’installe avant que ne s’esquissent timidement les premiers applaudissement témoigne pour sûr de la réussite et de la justesse de ce spectacle.
Photo © Charlotte Corman