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Mythos 2017

Sans laisser de trace, un exode sans terre promise

L’espace n’a pas de frontières. L’espace, c’est l’infini. L’espace appartient à tous, de la même manière, sans barrières. Sous les étoiles, sur la terre ferme ou par les mers, des hommes se battent pourtant pour les franchir. C’est l’histoire tragique que nous raconte Rachid Bouali.

Il joue sans pathos, avec une énergie saisissante, celle du désespoir peut-être, incarnant l’injustice au travers de ses personnages haut en couleurs. De Serge, fuyant la Côte d’Ivoire et chassé par les gardes frontières marocains à Suliman, tentant d’atteindre l’Europe par Melilla, c’est une lutte pour la vie qui prend forme. On est attendri, choqué, révolté par leurs témoignages alors que Nicolas Ducron, dans un coin de la scène, met en musique les récits. Il maîtrise aussi bien le saxophone et le hautbois que l’uniforme d’un garde-côtes espagnol, la cigarette fumante au coin des lèvres.

L’indescriptible est raconté, avec sensibilité et intelligence, mettant vie à un décor simple où la lumière nous immerge dans les enfers, terrestres et sous-terrains. Il va en effet jusqu’à incarner Charon, voguant sur le Styx, guide des ombres errantes des défunts. “Pars, meurs, reviens”, c’est ainsi qu’il sermonne le vivant, en quête d’un dernier refuge dans les profondeurs de la terre. Même pour les morts, traverser le Styx n’est pas simple. Faute de monnaie, il est facile de se faire rattraper par le Cerbère, protecteur de l’enfer, gardien des frontières. « Quelle barbarie » dans cette mythologie ancienne et sauvage.

C’est un cri d’humanité qui se poursuit dans un voyage noyé par les atrocités. On suit les réfugiés, mais on rencontre aussi les passeurs, dont Gaslam, jeune Turc chargé de la « marchandise humaine» provenant d’Irak, de Syrie, d’Iran. Finalement, on se retrouve au plein milieu de la jungle de Calais, entre les restaurants et les églises, qui font couler les petits commerces des bons Français.

La fuite, la souffrance, l’errance et l’indifférence sont mises en scène sur un ton parfois décalé mais qui touche juste. Cela laisse une trace une fois que la lumière se rallume.

Photo © DR