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Mythos 2018

Eddy de Pretto : la voix d’une génération

Bon, il est minuit cinquante-sept. Première soirée Mythos pour moi. J’aurais pu écrire cet article le lendemain mais les mots qui me sont venus dans le métro risqueraient de s’échapper si je laissais passer une nuit de sommeil. Alors je prends mon ordi et laisse mon clavier faire le reste.

21h12 : Après avoir attendu sous la pluie fine rafraichissante, un verre à la main, je suis enfin sous le chapiteau, mon pass-presse en poche, précieuse clé qui m’ouvre les portes de ce festival rennais que je ne connaissais pas il y a encore trois mois.

Devant la scène, je retrouve ce sympathique couple de quinquagénaires, déjà croisé à l’entrée du parc. Tandis que les premiers spectateurs, les plus assidus, attendent que le concert commence, on parle musique et théâtre. Eddy de Pretto, ils ne le connaissent pas vraiment. En réalité, les chanceux ont gagné leurs places sur Fip. Ils allaient donc découvrir ce jeune chanteur, compositeur et poète, que le public français commence doucement à adopter.

Avec un peu de retard, les lumières s’éteignent. Sous les vocalises enthousiastes de la foule devenue plus nombreuse, Eddy entre sur scène accompagné de son batteur Johnny … et de son Iphone. Puis, il nous emmène.

Direction Rue De Moscou. Un son de synthé s’empare de la salle, avant que la voix et les percussions ne prennent place. Les lumières dansent au rythme de la batterie tandis que les basses font vibrer ma poitrine. Je n’ai jamais vraiment compris le sens de cette première chanson. Elle semble évoquer ces soirées parisiennes où, « dans de fausses fourrures », et « dans des vestes trop courtes », des hommes font « semblant d’être belles », « d’être reines » et « d’être fous ». Ou pas. Pas le choix, place à l’imagination.

Ce soir, Eddy de Pretto va donc nous parler amour, genre, famille, banlieue, beuverie, et sexe. Deuxième immersion dans La Jungle de la Chope, ce monde tactile où l’on ne trouve « plus personne pour de subtiles romances » : les applis de rencontres. Quoi de plus actuel pour parler d’amour et de sexe que ces « réseaux de jeu », terrain de cette « course au plus bel amant qui deviendra un énième plan ». Cette chanson, comme beaucoup d’autres que l’on entendra ce soir, dépeint un phénomène propre à notre génération, formant une pièce du tableau qu’Eddy de Pretto nous chante de la société actuelle. Et ça matche. Avec moi en tout cas.

Puis, Jimmy entre en scène, à travers les paroles qui sonnent comme une déclaration d’amour à un être perdu. On en devient vite proche de cette personne que tout le monde connait, que tout le monde a croisée, et peut-être aimée, irrésistible avec « son sourire en biais » et son « paquet épais ». Eddy de Pretto la fait vivre et danser dans nos cœurs pendant trois minutes et trente sept secondes, le temps d’une chanson qui nous parle d’un amour absent. Enfin, je crois.

Bref. C’est l’heure de bouger du bassin. Normal. C’est un concert. C’est aussi l’heure d’assumer. Assumer ce que certains voient comme contre-nature et contagieux. C’est l’heure d’envoyer balader la normalité qui veut s’imposer à coup d’insultes. Ici, la modernité des textes d’Eddy de Pretto frappe fort et juste pour dénoncer et démonter l’homophobie, comme un cri de guerre contre les normaux. Enfin, c’est ce que j’ai compris.

Les paroles défilent. Comme les fragments d’une vie, les chansons font apparaitre et disparaitre des personnages, érigent et démolissent des lieux. Je découvre Beaulieue et ses briques pour mieux les quitter. Puis je m’attarde au Quartier des Lunes où Eddy rend hommage à toutes les femmes, après avoir chanté pour Mamère et toutes celles des autres. J’y croise ce petit Kid alors qu’il « joue avec les filles ». Puis, il nous fait chanter pour tous les cœurs Random avant de nous présenter ce « grand sac d’os » qui tente en vain « d’être toujours en force » pour faire Genre et parfaire son Ego.

La foule se laisse porter par la voix d’Eddy de Pretto qui bientôt laisse la scène dans la pénombre. Mais où es-tu Honey ? Le public la cherche, « dans le noir », « dans le soir ». « Dans le trop tard » ? Non, le chanteur ramène une nouvelle fois sa fougue sous les lumières, et Honey arrive, précédée d’une Musique Basse, pour un dernier salut.

Ce soir, Eddy de Pretto a transformé nos vies en poésie. Aussi banales qu’elles paraissent, aussi singulières les unes des autres, faites de larmes, de rires, de coups de poing, et de baisers, il nous a prouvé que chacune d’entre elles peut faire l’objet d’une chanson.

Photo © Jean-Adrien Morandeau