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Mythos 2022

Keziah Jones: Funk is in Rennes

Devant un Cabaret Botanique plein à craquer, l’artiste Nigérian importe son « Blufunk » énergique pour son concert à Rennes.

Pas facile de se faufiler dans une foule hétéroclite où même les cinquantenaires poussent pour être au plus près d’un artiste de leur génération. « Il a le même âge que moi ! » nous lance un homme aux cheveux poivre-et-sel et veste de ski. Mais son style vestimentaire et sa forme sur scène nous font oublier que l’artiste a fêté cette année ses 54 ans. Coiffé de son éternel chapeau de travers, bandana autour du cou, Keziah Jones apparaissait hier soir comme sur la pochette de l’album Blufunk is a fact, sorti en 1992.

Trente ans après cet album, mêlant funk et blues, qui le hissa au sommet de sa carrière, le guitariste y est revenu, reprenant ses premiers morceaux tels que Rythm Is Love et Beautiful Emilie, chantés en cœur par un public connaisseur. Retour revendiqué à l’original funk chaloupé et énergique, porté par une guitare chaude et claquante. Keziah Jones mêle avec virtuosité groove dansant et blues parfois mélancolique, caractéristique du Blufunk. Cette fusion des styles produit un alliage puissant, provoquant d’un même mouvement paradoxal spleen et volupté. A l’image de la voix pleurant « This madness kills » dans Where’s Life ?, tranchant avec la guitare et la basse dont le swing invite à danser.

Mais ce retour aux sources, aux « funderlying fundamentals of blufunk » de la chanson éponyme, n’en fait pas pour autant un concert de fin de carrière dont la qualité repose sur des tubes vieux de plusieurs dizaines d’années. Si le guitariste annonce « your kids will listen to it », ce n’est pas parce qu’il s’adresse à un public mûr, mais bien car il joue une ode intemporelle à la musique, qui s’entend dans son jeu comme dans le choix des reprises, autant d’hommages à leurs auteurs.

Inspiré de Prince et Jimi Hendrix -à qui il rend hommage en reprenant All along the watchtower – sa manière de jouer de la guitare frappe par sa précision et son rythme. Keziah Jones joue sans médiator, à la manière de l’excellent bassiste qui l’accompagne. Suivi d’un batteur tout aussi virtuose, le trio rappelle au public que les morceaux naissent de l’improvisation. Ainsi, les musiciens alternent entre solos et jams, comme sur cette entraînante reprise d’un medley de Bob Marley, War/No more trouble, dans laquelle ils se livrent à une improvisation de dix min. Le concert met en effet l’accent sur l’interaction entre musiciens, dont les visages s’éclairent à l’écoute du solo de l’un d’entre eux, mais aussi entre les artistes et le public. Keziah Jones invite la foule à chanter et à « faire passer le joint » sur une reprise de Pass the J. de Rick James, et s’adresse à elle en anglais et en français, lorsqu’il annonce vouloir transmettre l’amour et la joie à travers « le son, la sonic vibration ». Après la reprise rarement jouée de War, suivie de Where’s Life, dont l’écho fait penser à l’actualité ukrainienne, on comprend que sa musique se veut aussi un hymne à la vie lorsqu’il entame son fameux Rythme is love.

Malo Drouet
Photo © Théo Oster