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Mythos 2013 Texte

Lescop : Vague glacée

En voyant la mention « cold wave » sur le programme de Mythos, mon sang de reptile avait frémi. Il fallait que je voie ce que ça donne, de faire du Joy Division en 2013. En effet, Lescop a du Ian Curtis, c’est explicitement revendiqué, ainsi que du Philippe Pascal sans la coiffure. Avec ses chansons gonflées de larmes retenues, il nous consolerait presque de la mort de Daniel Darc. Dès les premières notes de synthé, sous une lumière bleutée, on se croirait revenu aux amères contre-cultures des années quatre-vingt. Certes, on n’a plus de guerre froide, mais notre époque recense suffisamment de mélancolies pour qu’on puisse se permettre de faire de la musique obscure et vénéneuse.

Alors, avec des riffs en forme de fantômes, Lescop nous parle de la nuit, des femmes et des capitales d’une voix sobre et touchante de tant de rage contrôlée, de détachement factice et d’âcre nostalgie. « Les beaux jours, ça vous rappelle de bons souvenirs ? Nous ça nous en rappelle de mauvais. Mais on aime bien se rappeler quand même, on sait pas trop pourquoi ». Ses gestes sont nerveux et soudains, mais sans donner dans l’hyperbolique. Sur scène, il est vêtu simplement, comme ces chanteurs qui n’ont plus besoin de ressembler à des cimetières ambulants puisqu’ils ont du talent.

Les mélodies entêtantes des synthés se fraient un chemin jusqu’aux cœurs et font battre le sang dans les veines. Ljubljana, Tokyo, Los Angeles et Paris sont alors avalées par la même vague glacée, pleinement assumée par le charismatique Lescop. « Je me sens vide/ Je me sens froid/ Translucide/ A l’étroit ». Malgré la simplicité apparente, les textes touchent et nous rappellent à nos existences pas toujours magnifiques. L’atmosphère est surréaliste comme un roman de Murakami et hallucinogène comme un film de Jarmusch. Les têtes oscillent aveuglément, comme hypnotisées, et les visages se font grave quand Lescop décrit ses voyages, ses impressions, ses amours mortes, avec la même conclusion, celle d’avoir tout perdu sauf les réminiscences. « Il est bien dommage et bien étrange/ Que le mal soit si beau », nous dit-il, avouant qu’il apprécie finalement aller fouiller les plaies et rouvrir les cicatrices l’air de rien. Sa musique est dès lors une catharsis maîtrisée, un savant dosage de sentiments plus ou moins refoulés et de tensions irrésolues. Parfois cependant, Lescop nous accorde un sourire, ce qui le rend plus humain et prouve que sa noirceur n’est pas un simple masque.

Même si l’ambiance se prête peu à l’insouciance, je ressors du Magic Mirrors emplie d’une grande joie, celle de savoir la cold wave menacée d’extinction désormais en sécurité dans la musique de Lescop. Alors si la vague froide ne vous submerge pas, laissez-la au moins tout de même vous chatouiller les doigts de pied. Parce que Lescop, « C’est insolent/ Oui mais c’est beau/ Beau mais violent/ Peut-être un peu trop. »