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Mythos 2013 Texte

Un dans sa pluralité, rencontre avec Mani Soleymanlou

Mani Souleymanlou enchaîne les interviews. Aussitôt celle avec Radio Campus terminée, il vient s’installer avec nous dans le Thabor pour répondre à nos questions.

D’abord les deux questions rituelles : pour résumer Mythos en un mot, Mani nous répond du tac-au tac : Thabor. Lieu central du festival avec le Magic Miror. M pour ? Il met plus de temps à répondre, réfléchit et trouve Mot car Mythos, c’est un festival des mots, de la parole avec notamment les « chansonniers ».

Le titre Un est intrigant, pouvez-vous nous en dire plus ?

Au départ, le titre du spectacle était un numéro d’assurance sociale. Je voulais montrer qu’au Canada, c’est ce numéro qui définit en tant que citoyen. Pour n’importe quelle démarche administrative, on est identifié par son nom et ce numéro. Mais, lorsque le spectacle a été diffusé au public, il a fallu changer de titre car il était trop compliqué à mémoriser. Un est alors venu instinctivement. L’interprétation n’arrive qu’ensuite : Un comme un iranien, un canadien, un québécois, un homme. Un qui se décline pluriel.

Un n’est pas la solution à un problème, la réponse à des questions. Il est devenu une nécessité quand je me suis aperçu que ça plaisait aux autres, qu’ils s’y identifiaient, qu’ils permettaient aux autres d’entamer une thérapie. Ainsi, après le spectacle, beaucoup viennent me parler et me raconter leur histoire.

Qui est « Elle » dans le spectacle ? Pourquoi cette trentaine de chaises sur scène ?

Elle, c’est Neda Soltan, une jeune manifestante iranienne qui s’est fait tirer dessus par une balle perdue. Elle symbolise l’injustice en Iran. Elle représente la génération des jeunes femmes iraniennes encadrées, voilées mais hyper- éduquées, libres.

Quant aux chaises, au départ, il n’y en avait aucune. Cette idée m’est venue instinctivement. je n’avais pas réalisé ce qu’elles représentaient. Ce sont les autres, ceux qui ont assisté à son spectacle, qui en ont fait une interprétation : salle de classe, aéroport, reflet de ceux qui assistent au spectacle, de ceux qui ne sont pas là… En effet, en iranien, pour dire « Tu nous manques », on utilise une expression qui pourrait se traduire par  « Ta place est vide ». J’apprécie que les autres s’interrogent, le spectacle est abstrait pour que l’on puisse visualiser, je veux laisser une liberté au spectateur.

Un est-il un conte ?

Ce spectacle, ce n’est pas un conte, c’est un monologue théâtral. Et, pour moi qui viens du monde du théâtre, la différence est importante. Pourtant, je reconnais que la frontière entre les deux mondes est très mince. Et je m’en suis d’autant plus rendu compte durant ce festival. Mais, j’essaye de ne pas dépasser la ligne. Mon métier, c’est le théâtre, pas du stand-up. Mon écriture se veut théâtrale. Je ne se pense pas être capable de faire du conte.

Dans mon spectacle, je joue un personnage. Et, même si je m’inspire de ma vie, j’ai créé beaucoup d’éléments. C’est le personnage de Mani joué par Mani. Au contraire du conte où le conteur interprète une histoire, au théâtre, les codes font que les personnages ne savent pas où ils vont lorsqu’ils jouent. Je ne me sens pas prêt à faire du conte, j’ai besoin d’une structure, d’un cadre, la scène pour jouer.

Votre texte a été traduit en anglais, pourquoi ? Quelle place occupe la francophonie dans votre identité ?

J’ai traduit mon texte en anglais mais j’avoue que cela a été très difficile car la langue française permet une écriture bien plus poétique qu’en anglais que je considère plus « punchy », plus court. Cette traduction s’est réalisée parce que j’ai reçu une proposition pour un festival canadien et ses organisateurs m’offraient de m’accompagner dans la traduction. Je ne comptais pas traduire mon texte aussi vite.

Le français, c’est la langue que j’utilise au quotidien. La France, c’est le premier endroit où j’ai déménagé après l’Iran. Au Canada, je suis allé dans une école française, l’université française puis dans une école de théâtre française. Cette langue représente une partie de mon identité et est une énorme richesse culturelle au Québec, il ne faut pas la perdre.

Y a-t-il une différence entre les publics québécois, français ou iraniens ?

La réception du spectacle est très différente entre le public canadien et québécois car il y a une différence de langue, dans l’intégration. Au Canada, la population est beaucoup plus métissée, les immigrés sont nombreux alors qu’au Québec, il y a une identité propre qui reste très forte, ancrée dans la société. Les immigrés doivent s’y adapter.

Il y a également une différence avec le public français qui se lève beaucoup moins vite pour applaudir après le spectacle. Le Québec, c’est l’entre-deux entre la France et les États-Unis. La culture américaine est plus dans l’émotion, la réaction est plus littéraire, plus cérébrale en France. Il y a un vacillement, un va et vient entre ces deux cultures au Québec.

Les Iraniens ont été enthousiastes, émus, ils ont bien réagi. Ils ont généralement vécu la même chose : ils ont dû partir, ils ont le même regard de diaspora. C’est « prêcher des convertis ». Mon but est de parler à tout le monde et non pas qu’à un public d’immigrants.

Vous avez récemment créé la compagnie L’orange noyée, pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est la pièce qui a créé la compagnie et non l’inverse. J’ai voulu fonder cette compagnie pour la postérité. Cette compagnie, c’est une structure qui me correspond mais avec un nom propre. Pour l’instant, elle est encore en construction, je continue à prendre toutes les décisions. Je trouvais intéressant d’avoir une structure à l’extérieur, cela me permet d’avoir un projet artistique à long terme.

Si Un est une quête d’identité, comment savez-vous que la pièce est aboutie ?

Elle n’est jamais aboutie. Je suis en train d’écrire une suite de Un : Deux et Trois. Deux sera joué l’an prochain à Montréal. Ce spectacle ne sera plus un monologue mais un duo avec un ami québécois. Le thème sera toujours l’immigration, l’intégration. Mais, je veux cette fois m’axer plus autour du Québec : Pourquoi est-ce qu’au Québec un étranger est moins bien intégré ? Il y a toujours un conflit avec l’autre. Cette idée de suite m’est venu lors de la finalisation de Un et que je me suis rendu compte que je voulais sans cesse rajouter des morceaux. Un jour, ma petite amie m’a dit « Mets pas deux en un » et l’idée m’est apparue. Il fallait que je continue d’écrire. La logique de la trilogie s’est imposée de suite : les 3 étapes, la règle de 3 …

La rédaction de Trois se fera en fin d’année prochaine pour le festival Transamérique. Je veux remplir les chaises d’acteurs pour élargir mon discours. C’est une question d’échelle mais je ne cherche plus à faire quelque chose d’universel mais plutôt à dévoiler 35 univers différents pour correspondre au maximum de spectateurs. Un représente l’individu, Deux la cité et Trois le monde.