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Mythos 2017

Sandre : un sourire pour ne pas faire de peine

Sandre. Quand je l’ai lu pour la première fois, ce nom a résonné de façon étrange dans mon esprit : Sandre comme Sandrine au masculin… Sandre comme cendres. Par le biais de cette dernière association, le titre de la pièce a immédiatement évoqué chez moi l’image de la mort. Et la mort, il en est question dans la pièce du Collectif Denisyak, qui met en scène une femme… jouée par un homme, Erwan Daouphars. Une femme, dont le nom n’est même pas mentionné, mais dont il est question tout au long de la pièce. Cette femme qui cherche, pendant une heure, à faire revivre des chimères passées, à raviver l’amour qui s’est éteint chez son mari « qui ne l’aime plus », à prétendre être heureuse, comme si un sourire pouvait tout effacer.

« Je souris parce que quand on sourit, le cerveau croit qu’on est heureux, et après on est heureux ».

Sous ce sourire factice, progressivement naissent des larmes, une tristesse immense, de la fureur. Une colère noire envahit son visage lorsqu’elle évoque la maîtresse de son mari, son mari qu’elle aime tant, mais qui depuis le 22 avril est devenu « son mari qui ne l’aime plus ». La colère laisse place à une tristesse d’une sincérité infinie, qui prend de plus en plus d’ampleur au long de la pièce, envahit la bouche et le visage de cette femme, telle une tumeur. Passé et présent fusionnent dans cette bouche, qui évoque pêle-mêle une cafetière qui fait des bruits de gargouillis et un infanticide impardonnable. La profondeur du propos n’empêche pas quelques rires d’émerger, à l’occasion de quelques traits d’humour noir et de constats terre-à-terre, qui s’introduisent çà et là pour s’espacer et laisser place au terrible aveu qui conclut la pièce.

En bref, Sandre est une pièce au propos presque ordinaire, mais dont le texte, signé Solenn Denis, fait montre d’une sincérité et d’une profondeur remarquables. Erwan Daouphars nous livre une prestation bluffante : grâce à un jeu impeccable, l’homme disparaît derrière la femme et sa tourmente. Dans cette pièce, le Collectif Denisyak parvient à dessiner un personnage aux multiples facettes, qui se dit « normal ». Là est tout le paradoxe : oui, cette femme est des plus normales. Mais c’est aussi une meurtrière…

Photo © Marie-Elise Ho-Van-Ba