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Mythos 2017

S’échapper le temps d’un concert avec Emily Loizeau

Quand les premières notes du piano de bois sculpté se font entendre, nous ne savons pas encore que la jeune femme à l’apparence fragile et timide compte nous emmener dans des endroits tous plus variés et mystérieux les uns que les autres.

Le concert commence comme une journée ordinaire sous le soleil, tout est calme et serein. L’artiste se donne entièrement à son instrument, et ne prête pour le moment guère attention à la foule pendue à ses lèvres. Ses doigts virevoltent sur les touches, pareils à une hirondelle qu’on verrait s’envoler d’un arbre du jardin. D’abord seule, Emily Loizeau ne le restera pourtant que peu de temps car au deuxième morceau, l’ensemble de ses musiciens se joint à elle. Un instant, sa voix grave et groove laisse place à un enregistrement semblant venir d’une cassette que l’on aurait oubliée dans le vieux magnétophone familial. Les instruments prennent le relais et un nouveau personnage se joint à notre troupe : Docteur G, présenté par la voix de l’enregistrement, dévoilé sous la mélodie de celle d’Emily Loizeau dans sa version anglaise. La chanson s’achève et le piano est alors aussitôt emporté, la douceur qu’il dégageait laisse place au synthétiseur plus relevé. C’est enfin que l’artiste s’adresse à son public et l’invite à entrer dans le monde de Mona ; rencontre avec cette jeune fille confuse entre les insouciances de l’enfance et la provocante jeunesse. La gestuelle d’Emily Loizeau nous fait découvrir une poupée animée par des fils invisibles pour la mettre en mouvement. Nous nous trouvons en fait en présence de Mona, cette adolescente en relation conflictuelle avec une mère sans doute trop présente mais dont la présence reste une sorte de nécessité pour garder l’équilibre.
On sent que le passage à l’âge adulte de cette demoiselle n’est pas loin : en effet, elle nous emmène en boite de nuit, où la musique grise l’esprit, où on ne pense qu’à danser jusqu’à n’en plus pouvoir. Le chapiteau vibre d’une effervescence nouvelle, une sensation qui traverse le corps qui ne peut s’empêcher de se trémousser allègrement.
Le retour de la guitare sèche sonne la fin de cette virée nocturne : est alors entamé un solo musical en douceur, bien vite rejoint par la voix profonde de l’artiste. Le rythme rentre en parfaite adéquation avec comme une impression de se retrouver à bord d’une barque sur les rives brumeuses d’un lac.
Le rêve s’arrête soudain : Emily Loizeau nous ramène à la réalité en évoquant les cruelles actualités des migrants victimes de naufrages mortels. Celles-ci se confondent ensuite avec le texte du prochain morceau : à la danse incessante des vagues qui accompagne ces drames se superpose une histoire d’amour déçue, une lettre écrite dont on se demande si elle a un jour été envoyée à son destinataire. En l’occurrence, en nous faisant découvrir le contenu, la jeune femme nous place ainsi dans une promiscuité renforcée avec ce qui semble être sa propre histoire.
Le piano refait son apparition, mais loin de ce qu’il offrait au début de cette promenade durant laquelle on aurait pu croire s’être perdu en cours de route. Au contraire, là éclatent des sons vifs, et tranchés. La rupture amoureuse est dépassée, la déception fait place à la détermination.
Pourtant ce dynamisme retrouvé est très vite balayé par une nouvelle ambiance. Il semblerait qu’après avoir passé un temps près du lac, s’être confronté à la houle marine, Emily Loizeau veuille nous inviter à rester quelques temps dans une maisonnette nichée au cœur d’un bois inconnu. Il pleut sur les vitres, du moins c’est ce que laissent penser les notes lointaines qui émanent de la scène. Les chansons suivantes invitent à sortir de l’apparente sécurité de ce cocon, à découvrir le monde extérieur avec un œil nouveau, l’esprit ouvert et frais. Le concert arrive à sa fin : Emily Loizeau nous aura marqué en ayant réussi, en l’espace d’une heure et quart, à nous transporter vers des contrées lointaines… mais peut-être pas si éloignées que cela après tout. Car c’est encore une fois bien en restant au Thabor que nous avons pu effectuer un tel voyage.

Photo © Elodie Le Gall