Catégories
Mythos 2016

Un « Samedi détente » habité et envoûtant

Nous étions deux présents pour assister mardi soir à Samedi détente de Dorothée Munyaneza, au TNB. Deux visions, deux sensations, deux expériences de spectateur.

« De véritables moments de grâce »

Ce qui fait le charme de Mythos c’est sans doute sa capacité à faire découvrir de nouveaux horizons au spectateur. C’est ainsi que je me suis rendu, sans trop savoir à quoi m’attendre, au Théâtre National de Bretagne ce mardi à 20 heures pour y découvrir Samedi détente, évocation chorégraphique et musicale du génocide rwandais.

Sur scène Alain Mahé, le musicien qui accompagnera les danseuses tout au long du spectacle, frotte deux couteaux l’un contre l’autre. Le bruit est métallique, répétitif, presque gênant, comme pour prévenir le spectateur de ce qui l’attend. Et puis la voix de Dorothée Munyaneza s’élève dans le public, d’abord douce, de plus en plus puissante et terriblement envoûtante. On tombe immédiatement sous le charme de cette voix chantante, de cette langue inconnue et de ce grand corps qui investit rapidement la scène. Pendant un peu plus d’une heure elle danse, elle crie, elle murmure, elle chante, elle se déshabille et se rhabille accompagnée de son musicien et compositeur et de la danseuse ivoirienne Nadia Beugré.

Leur but ? Témoigner, raconter à leur manière ce que fut la terrible réalité du génocide des Tutsis au Rwanda au début de l’année 1994. Dorothée Munyaneza danse, chante et nous livre ses souvenirs de quand, petite fille fêtant son douzième anniversaire, elle fût confrontée à la mort et à la guerre. Les mots sont parfois bouleversants quand elle évoque la cruauté des miliciens, la perte des amis, la peur et l’horreur sans nom du génocide. Le message devient plus politique quand les artistes dénoncent avec force l’inertie de la communauté internationale –et notamment des autorités françaises– durant ces cent jours d’horreur. Mais Samedi détente nous réserve aussi de véritables moments de grâce, sait nous surprendre et nous faire sourire quand il évoque des tranches de vie, de tendresse et d’humour. Et c’est finalement à la vie qui continue que l’on pense quand on regarde ces deux danseuses occuper la scène avec une énergie extraordinaire.

« Dorothée Munyaneza invente aujourd’hui la danse des corps rescapés ». Ce commentaire de Jean-Marc Adolphe placé en exergue de la plaquette de présentation du spectacle résume bien ce que je viens de vivre. Dorothée et ses acolytes sont des artistes complets. La danse, la musique et le chant se mêlent au texte pour nous faire voyager et nous donner à réfléchir. Et c’est sans doute ça qu’on attend du spectacle vivant.

« La salle commence à trembler »

Entre danses et paroles, l’énergie des deux danseuses et chanteuses est considérable. Elles arrivent ainsi à mêler la trame de leur récit à des pointes d’humour, de fraîcheur, de tristesse. Et quand un chant retentit, la salle commence à trembler. Il se mêle alors parfaitement à la silhouette qui se détache au fond sur la toile, dansant au rythme de cette voix puissante.

Le spectacle de Dorothée Munyaneza raconte son histoire personnelle du génocide rwandais de 1994, il y a 20 ans seulement. Les remarques de la chanteuse montrent alors parfaitement – à travers ses yeux d’enfant à l’époque – son incompréhension quant à l’absence de réaction du reste du monde. Comme elle le raconte, les satellites passant au-dessus de son pays qui s’écroule constitue le seul signe que le monde existe et les regarde. Son récit réussit à faire émerger chez moi une sorte de culpabilité, alors même que je n’étais pas née au moment de ce génocide. Pourtant, je me demande maintenant quelles sont les guerres qu’on laisse faire aujourd’hui qui constitueront demain nos regrets. Évoquant un devoir de mémoire à propos de cet événement précis, la création de Dorothée Munyaneza semble alors également permettre une réflexion plus globale sur notre rapport à tout ce qui se passe aujourd’hui d’un bout à l’autre de la planète et qui constituera bientôt notre Histoire. Il semble alors nécessaire de ne pas attendre d’être spectateur, mais de passer à la position d’acteur dans le monde d’aujourd’hui pour enfin avoir une emprise sur cette Histoire.

Le récit continue, et les dates s’enchaînent, nous rappelant à chaque fois à quelle point cette guerre est proche. Dorothée Munyaneza arrive à raconter ce drame plutôt méconnu de la mémoire collective à travers sa propre histoire – celle d’une enfant de 12 ans, vite séparée de sa famille, se transformant en mère pour protéger un enfant plus jeune mais redevenant vite l’enfant qu’elle était en retrouvant les bras de sa propre mère.

Arthur Ayraud et Maiwenn Le Brazidec
Visuel © Gaëlle Evellin

Dorothée Munyaneza  – Samedi Détente
Du mardi 19 au samedi 23 avril au TNB, 20h00