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Mythos 2022

Instants réversibles passés devant Malik Djoudi et Peter Doherty

Un vendredi d’avril au Festival Mythos, le chapiteau se remplit peu à peu jusqu’à être infranchissable devant la légende du rock, Peter Doherty, arrivé tout droit de Normandie. Avant lui, c’est Malik Djoudi qui inaugure la scène avec ses mélodies rythmées et intrigantes, il nous mènera avec lui dans l’espace, sur la lune, ou on ne sait pas trop où, le temps d’un instant.

Le chapiteau du Magic Mirror est un peu parsemé, le public laisse croire qu’il est venu pour le concert suivant. Le défi sera donc dur à relever pour Malik Djoudi qui entre en scène, veste de rockeur sur les épaules, prêt à en découdre. Il commence par où es-tu, déjà l’allure contraste avec la musique, douce et légère.

L’artiste semble concentré, ses gestes sont précis, il est de ceux qui ont compris l’importance d’incarner leurs chansons, ou qui le font car ils ne peuvent simplement pas rester immobiles, le mouvement est un besoin vital, une continuation de la musique. Pour Malik Djoudi cela se fait par des mouvements simples et répétitifs, jambes fléchies, regard aguerri et points armés.

Où es-tu, le sourire de Malik ? Enfin, le voilà. La salle du Cabaret Botanique s’est remplie, les jeunes n’y sont pas nombreux, mais pas besoin d’avoir vingt ans pour obéir aux consignes que Malik Djoudi lance entre deux morceaux : « faites les fous, faites n’importe quoi ! »

« Tout ce qu’on veut c’est avoir des histoires » dit-il dans histoires d’autres, chanson de son deuxième album Tempérament. Il va alors nous en raconter, des histoires d’amours déchues inspirant ses chansons mélancoliques, et nous faire entrer dans sa folie douce. Et pour ça, pas besoin d’être adepte du rockeur léger, les rythmes sont efficaces et les jeux de lumières réfléchis, les flashs blancs laissent parfois place à des ambiances bleues ou orange, envoûtantes.

Envoutante, elle l’est aussi la voix de Malik Djoudi, si envoûtante que les paroles graves nous réveillent parfois brusquement de notre insomnie.

L’artiste jongle entre ses différents albums et fera résonner les morceaux qui l’ont fait connaître. « Dis-moi que t’y penses, je veux que tu me le dises ». Finalement on ne résout pas cette énigme et le mystère reste trouble autour de l’homme à la voix de sirène, on ne sait pas ce qu’il veut nous dire, tellement pas qu’un applaudissement sera lancé avant la fin d’une des chansons.

La réponse tient en fait peut être en quelques mots « repose toi, prend le temps », car c’est une invitation au calme et à l’oubli de soi à laquelle on assiste. Oubli qui peut s’emballer et faire bouger devant la scène sur des accords qui ne sont pas sans rappeler ceux d’Étienne Daho s’il était né un synthé dans les mains.

L’alchimie qui a mis du temps à démarrer s’installe peu à peu et les rythmes aquatiques créent même des cris de joie.

« Me sentir autrement, comme si j’avais vingt ans » manifestement les deux dames à ma droite l’ont pris au pied de la lettre, elles bougent comme des adolescentes, les seules de la salle d’ailleurs. « C’est que des petits bonheurs » dit l’une à l’autre déjà entrée en plein dans sa créativité chorégraphique. Cette dernière semble perplexe ses cris spontanés résument bien l’ensemble de l’instant, ces cris justement, ils alternent entre « j’adooore ! » et « allez bouge là »‘.

C’est sans doute là le point sensible de Malik Djoudi, nous offrir des morceaux perfectionnés, sans injustesses ni réelles folies.

Bien que d’écouter cet artiste hors du commun ait pu provoquer plus de plaisir dans un autre cadre, comme en extérieur sous un soleil estival, le moment fut tout de même vertigineux et le pari réussi.

Peu d’émotions tout de même si ce n’est celle de vivre un moment hors du temps, temps qui rattrape d’ailleurs quand l’un des musiciens trahis Malik Djoudi et dit que c’est son anniversaire, il est gêné, humble. Ce n’est plus le rockeur du début, il se sera contenu mais il est heureux, ça se voit, et c’est beau. L’insolence de son entrée en scène laissera donc place au sourire enfantin et au « bisous bisous bisous » de la fin.

Le mieux eût peut-être été de ne pas connaître Malik Djoudi avant ce concert, ne pas le connaître pour mieux découvrir l’étendu et l’originalité de son talent et sa pop électro qui vient rafraîchir la musique française et faire danser même des vieux fans de rock au festival Mythos.

L’artiste part, sans qu’il n’y ait beaucoup d’acclamations.

Errer dans la foule est alors l’occasion d’entendre divers avis oscillant entre « c’était supportable, ça fait un peu boite de nuit », des « c’était pas mal, j’ai bien aimé » et des fredonnements qui trahissent déjà les nouveaux adeptes.

Une nuit passée, en y repensant, je me dis qu’il n’a pas eu de chance de passer avant Peter Doherty et son public convaincu, parce que, putain, il est doué, et le moment était bon, comme un rêve suspendu, un vertige sensible.

Un public venu pour lui, conquis devant Pete Doherty.

Après une pause bienvenue, ce sera autour de Peter Doherty et de son nouvel acolyte Frédéric Lo de fouler la scène du cabaret botanique. La légende nonchalante, chapeau vissé fera sonner son harmonica et ses chansons plus ou moins douces et entraînantes. La foule ne bouge pas beaucoup mais les pieds battent le parquet et les sourires apparaîtront sur les lèvres d’un public qui est clairement là pour lui.

Peter Doherty ira de son mot de français « bonsoir Rennes », il est insolent, main gauche dans la poche. A un moment son micro tombera à force de virevolter dans sa main, le micro tombe, pas le mythe.

La figure du rock déambule, titube presque, on le sent proche de ses musiciens, il va visiter son batteur en souriant.

Son duo avec Frédéric Lo fonctionne, le courant passe, c’est évident. Quand il ne sait plus quoi chantonner Peter Doherty va le voir, l’homme à la guitare rouge et blanche lui fredonne un air, ils le reprennent ensemble et la machine repart.

À écouter son accent et à voir sa dégaine désinvolte on se croirait tout droit sorti d’un bar de Birmingham où rôderaient les frères Shelby de la série Peaky Blinders.

Peter Doherty chante les « sweetest saddest songs » il le dit lui-même et ça résume bien l’instant.

La star du rock s’est donc adoucie, moins éméché qu’en 2019 selon certains chuchotements. Le public venu pour lui semble conquis, sans doute la nostalgie d’une certaine époque ou le rock était la norme.

Mais là le rock est plutôt immobile, si immobile que les agités se rendent au chapiteau d’en face pour continuer la nuit…encore un peu.

Ewen Dubée
Photo © Nico M