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Mythos 2022

The end… of the fucking world

Vendredi et samedi Bert et Nasi ont présenté au CCNRB leur composition : The End, mais la fin de quoi ? Du monde, d’une amitié ? La fin, le commencement, ou plutôt l’espace où l’on vit, entre les deux, voilà ce que les deux danseurs novices nous ont fait découvrir. Perturbant de non-sens au départ, la pièce parvient à susciter la réflexion.

Après avoir déambulé rue Saint-Melaine en attendant le début de la pièce, j’entre pour la première fois au CCNRB, je ne sais pas à quoi m’attendre « c’est des gars qui ne savent pas danser qui dansent » m’a-t-on dit. Le matin du 7 avril on lit dans le Ouest France que la pièce est une métaphore de la fin du monde. Il y a du monde dans ce bâtiment passé jusque-là inaperçu. Une file se dessine à l’intérieur, puis on entre dans le lieu du spectacle. C’est sombre et les gradins sont confortables. L’attente, l’observation des gens venus assister à une pièce dont ils ne sauront probablement pas quoi penser en sortant.

Ça chuchote, discute, parle des collèges, puis, ils entrent. Bert et Nasi de leurs prénoms. Ce sont deux hommes, probablement la trentaine, l’un chauve et barbu l’autre plus grand brun, porte une chemise orange pâle.

Des baskets aux pieds et le jean à la ceinture, on pourrait les croiser tel quel dans le métro. Curieux. Ils se déplacent symétriquement pendant un moment puis sortent de la salle l’un après l’autre en remuant leur main gauche, certains leur font le geste en retour. La dame a ma gauche plaisante « Bon bah voilà c’est fini, 17 balles ça nous aura coûté ».

Seulement non, ça venait de commencer, ils allaient nous raconter l’histoire du début à la fin, la fin du monde, la fin de leur relation, la fin de tout.

L’un des danseurs-comédiens-performeurs s’assoie à un bureau dans le fond de la salle et diffuse un diaporama qui nous place directement face à la médiocre réalité de notre-condition humaine. En effet on lit écriture blanche sur fond noir que dans des centaines d’années Tchernobyl redeviendra salubre tant le monde sera radioactif, un peu plus tard les chutes du Niagara disparaîtront, tous les océans suivront comme toutes les espèces vivant sur la planète, la terre changera le cycle de création des étoiles, les continents collisionneront et la terre finira par plonger dans le soleil. Fin.

Enfin pas vraiment, puisque pour le moment Bert et Nasi ont appris à danser, monté une pièce et comptent bien la présenter (bien que le nouveau rapport alarmant du GIEC publié cette semaine ne dise rien qui vaille).

L’apparente simplicité des mouvements ne l’est en fait qu’en apparence, des portés à la dirty dancing s’enchaînent (et pour avoir déjà essayé, c’est compliqué). Ils sautent, courent, réinterprètent la corrida (il faut le voir pour comprendre), s’enlacent, roulent par terre, se tiennent en équilibre sur une chaise, bref ils vivent, comme si la fin du monde n’existait pas.

Les musiques qui les accompagnent s’enchaînent elles aussi, très différentes les unes des autres, la principale d’entre elles demeure : le silence.

Puis nous assistons à un remake façon contemporain de la carioca entre Alain Chabat et Gérard Darmon dans La cité de la peur. Car oui, bien que le sujet pèse, l’approche est légère et la vie domine le moment, des rires résonnent même parfois.

Après ces trois quarts d’heure d’incompréhension, foutu pour foutu, on arrête de réfléchir, après tout, c’est juste beau de voir deux trentenaires de nationalités différentes se rencontrer autour d’un projet, le monter, apprendre à danser, le présenter, alors que le monde s’écroule. Mais il n’y a plus que le monde qui s’effondre, il y a aussi ce qui reste de vie dans cette salle devenue noire. L’amitié photographiée par un appareil jetable ne survivra pas elle non plus, elle succombera aux épreuves de la vie: mariage, enfant, maladie, dépression, divorce, cancer, rémission, mort.

Ce récit tragique mais si commun qui nous est montré lui aussi par le diaporama c’est le nôtre à tous d’une manière ou d’une autre : naissance, enfance, rencontre, déchirements, solitude, fin.

Fin aussi de leur amitié donc qu’ils entrevoient au fil de la séparation de leur parcours de vie. Quand l’enfant de l’un retrouvera les carnets de leurs échanges épistolaires il lui dira  »brûle les, brûle tout ». Frisson. C’est lui qui prend la place sur la curiosité, car on sait maintenant à quoi on assiste, The End est l’histoire du moment, ou plutôt un moment, qui se situe entre le début et la fin : c’est la vie. Puisqu’ils sont là devant nous, qu’ils dansent et qu’ils s’en fichent, et nous, à la fin, on applaudit.

Après The End, on assène le coup, on croit plus à grand-chose, puisqu’on finira seul et dépressif même après une vie de psychanalyse, et puis, on réfléchit. C’est là que vient l’envie de vivre, d’envoyer un message à un ami perdu de vue, de se battre pour garder ce qui reste de vivant, et d’apprendre à danser ou juste de danser n’importe comment.

Ewen Dubée
Photo © Nico M