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Mythos 2022

Pose les parpaings de ton histoire : le « deviens qui tu es » de Nicolas Petisoff

Dans cette composition pleine de tension, Nicolas Petisoff nous raconte son histoire, celle d’un homme qui a su se relever.

Nicolas Petisoff de son état civil est venu présenter sa première écriture, sa maison, construite parpaing après parpaing. Aujourd’hui il en est fier, il faut dire que ce n’est pas qu’un dégât des eaux qui est venu ralentir les travaux…Un récit poignant accompagné des sons électro de Guillaume Bertrand. La salle s’est levée et s’est inclinée.

La salle Parigot du TNB se remplit tranquillement sous les yeux du comédien attentif et souriant. Cette salle sombre et enfumée où trône une plate-forme en forme de parpaing sera la scène de la pièce à venir.

Rennes- intérieur-jour, ça commence par le récit d’une enfance paisible dans une ville du centre de la France. La catin samouraï, personnage imaginaire de cet enfant, fait surface, puis le comédien troque à nouveau le peignoir de satin pour son jogging adidas et sa casquette noire. Le cadre est posé.

C’est dans ce même cadre, lourd et pesant, que Nicolas Petisoff va nous raconter son histoire. Son monologue sera accompagné par les arrangements électro de Guillaume Bertrand, envoûtants.

Son histoire il la scande, la dit haut et fort, la crie à n’en plus avoir de voix parfois. Son histoire est celle d’un enfant trahi, d’un adolescent perdu, sans repères, d’un jeune adulte se cherchant, d’une vie prise à être construite, d’une vie bâtie, brique après brique, parpaing après parpaing.

Et elle n’est pas joyeuse cette histoire, adopté, il le découvre par hasard et ne le dira à ses parents que la trentaine passée. Carnage. Son père est alcoolique, violent, il frappe sa femme, un jour son fils le battra à son tour. Carnage. Puis il tombera amoureux du pompier, de ses amis hommes, du policier, et puis de l’amoureux, le bon, il s’installera avec lui à rennes, le dira à ses parents. Carnage.

Mais si les parpaings sont creux c’est sans doute pour y mettre ces morceaux de carnage, de crainte et de colère. Les mettre, pas les cacher, surtout pas. Les mettre pour les ranger, et avancer. Car les secrets, ils ont hanté sa vie, détruits ses parents et lui un peu avec eux, seulement Nicolas en a décidé autrement, il ne laissera pas ce poison entrer en lui, et s’inventera avec ses secrets révélés au grand jour.

« Les vérités tuent. Celles que l’on tait deviennent vénéneuses. » Nietzsche, repris par Taubira en 2017, à l’assemblée nationale, lors de son discours pour défendre son projet de loi, diffusé en arrière-plan de la salle Parigot du TNB, ce discours, Nicolas Petisoff le chuchote par cœur. Car ce projet de loi est celui qui fera passer la honte dans l’autre camp, et dira aux jeunes d’aujourd’hui, une autre phrase de Nietzsche : devenez qui vous êtes.

Deviens qui tu es, c’est là la maxime du comédien, mais comment devenir qui l’on est quand on ne sait pas qui l’on est, d’où l’on vient, qui sont nos parents biologiques ? C’est la dernière énigme à laquelle Nicolas Petisoff tente de répondre, accompagné de l’amoureux et de ses frères et sœurs de cœur choisis.

Ce récit poignant fait écho aux à ceux biographiques d’Édouard Louis, on pense à En finir avec Eddy Bellegueule, histoire d’une vie à traverser sa classe, sa sexualité, dans un environnement figé, là encore une ville du centre de la France. Enfin ! les mots de la garde des sceaux prennent acte, on écrit, chante, joue, scande, crie, des récits cachés jusque-là.

Rennes-intérieur-nuit. Guitare électrique, Nirvana à fond, Nicolas Petisoff se tatoue en live, dans le noir, il complète son histoire, l’écrit sur son corps. L’audience a pleuré, frissonné, rit parfois, et à la fin on applaudit, les gens se lèvent, avec l’envie d’écrire leur vie à leur tour, de la bâtir, parpaing après parpaing.

Ewen Dubée
Photo © Nico M