Un matelas, une couverture de survie, une table. Posés en plein milieu de l’église du Vieux St-Etienne, les maigres biens de Jamal offrent un décor pittoresque au lieu. Réfugié syrien, condamné à vivre sous un pont en attendant d’obtenir ses papiers, il nous plonge dans la solitude de son errance. On l’observe dans ses gestes quotidiens, au fil de ses rencontres indésirées. Cette pièce développe toute la précarité et les dangers qu’offrent cette vie de vagabond. La maîtrise de son destin lui a été arrachée, la pièce est tout en longueur, marquée par une attente instable. Les protagonistes s’enchaînent, tournent autour de son matelas, chacun posant un jugement sur lui.
« Vous êtes tous pareils, sales voleurs ». Brisant l’intimité de sa couche, un skinhead de passage met en lumière le mépris et la violence dont sont victimes les réfugiés, alors qu’il lui pointe son pistolet au visage. Il met en scène la crainte de l’autre, de celui qui ne parle pas sa langue. En effet, Jamal ne connaît que quelques mots de français et ses paroles en arabe sont traduites sur un écran, près de la scène. « C’est la merde dans votre pays » ricane une autre intervenante, SDF, une bouteille de vin rouge à la main. Dans la même misère, sans abri, elle se moque des espoirs de Jamal, appelant avec sarcasme à « boire un coup pour le pays des droits de l’Homme ». L’appel d’un refuge dans la religion, et ses dangers, est aussi illustré par un homme en habits traditionnels, qui vient le voir et cherche à le convaincre de venir à la mosquée, à se détourner de la culture française.
La pièce va jusqu’à briser les codes du théâtre en faisant directement intervenir ses auteurs. Alors que la lumière se rallume, ils s’interrogent sur le destin de leur personnage, sur la manière dont les spectateurs appréhendent son histoire, ses rencontres, et la mort qu’ils veulent lui donner. Quelle fin tragique et originale lui offrir ? Chaque manière de le mettre à mort est illustrée par des événements syriens : la faim, les exécutions, les explosions, les pendaisons.
Entre sincérité et mensonges, Jamal raconte les violences qu’il a subies dans son pays d’origine, sa haine, sa fuite, sans qu’on ne discerne les parts de vrai et de faux. Toute l’ambiguïté du personnage semble illustrer l’inconsistance des jugements et le scepticisme auquel il est soumis. Seule sa solitude apparaît comme authentique.
Photo © Élodie Le Gall