Aussitôt rentrés dans le Théâtre de Verdure ensoleillé, on quitte déjà un peu l’ambiance de la ville et du festival – avec seulement la musique du Cabaret Botanique en fond sonore. Et c’est encore un autre univers qui se met en place quand les deux comédiens arrivent : celui de Victoire Magloire, petit agriculteur réunionnais dont les intentions proches résident en son mariage avec Rolande. Ce mariage semble pourtant compromis au vu du refus des parents de Rolande de la marier à un analphabète. Les comédiens changent de personnages – alternant alors le créole et le français – notamment avec l’irruption d’un crieur présentant le journal La partie créole. Celui-ci annonce l’ordre de mobilisation de la guerre fraîchement déclarée, les Réunionnais étant alors appelés sous les drapeaux, qui apparaît à Victoire Magloire comme le moyen de changer le cours de son histoire. L’écriture de la pièce met pourtant en avant la nature hypocrite de l’appel à combattre qui atteint jusqu’aux lointaines colonies françaises : « Comme de bons coqs gaulois, nos compatriotes vont servir la patrie. »
Se met alors en place le parcours initiatique du poilu réunionnais, passant des hauts plateaux de la Réunion jusqu’à Verdun puis Paris. La mise en scène n’est volontairement jamais réaliste – notamment par le choix d’avoir seulement deux comédiens – mais construit justement un univers particulier dans lequel les personnages évoluent. Tout au long de la pièce, on remarque la mise en place d’un double discours illustrant les contrastes entre les points de vue réunionnais et français, mais aussi entre ce qu’il faut raconter à ceux restés à la Réunion et la réalité de la guerre. Se met alors en place un embrigadement psychologique du soldat – « Celui qui n’a pas fait Verdun n’a pas fait la guerre. Un jour, petit, tu diras j’y étais. » – celui ci se transformant de plus en plus rapidement au cours de son parcours jusqu’à perdre la tête au milieu de Paris, notamment du fait de ses récents souvenirs de Verdun.
Les dates et les lieux – toujours réels – s’enchaînent alors, jusqu’au 11 novembre 1918 et l’annonce de l’armistice par un des personnages, debout juste à côté de Victoire Magloire, au sol. La première guerre mondiale qualifiée de « der des ders », et le mot d’ordre de l’après deuxième guerre mondiale consistant en un puissant « plus jamais ça » : la conclusion de la pièce met en avant l’absurdité de la guerre – accentuée encore davantage par la constante naïveté du personnage principal.
A la fin du spectacle, le soleil a eu le temps de se cacher derrière les arbres et la scène de se transformer en champ de bataille – rappelant alors le difficile parcours effectué par Victoire Magloire. Le récit de son histoire personnelle permet de se rendre compte des réalités individuelles du drame mondial de la « Grande Guerre ». Toutefois, le propos amène autant d’émotion que de passages rendus drôles par le comportement du personnage principal. Le sujet de la place des colonies dans la première guerre mondiale, extrêmement intéressant notamment car il est encore aujourd’hui peu abordé, est enrichi par une mise en scène originale et captivante. Les deux comédiens jouent notamment avec l’espace dans leurs interactions, en communiquant ou en se passant des objets à distance. Ainsi, le spectacle écrit par Sully Andoche et Barbara Robert puis mis en scène et interprété par Didier Ibao et Valérie Cros apparaît aux spectateurs à la fois amusant – grâce au jeu des acteurs – et captivant par son sujet.
Photo © Philippe Remond